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Durant le mois d'août, Christian Combaz fait l'honneur à Boulevard Voltaire de publier des extraits de son très dérangeant "livre annulé".

Après la victoire de Giscard d'Estaing aux présidentielles, on assiste à une véritable subversion de l'opinion par les textes, les commentaires, les chansons, les éditoriaux, au profit d'une vérité recommandée, une seule : c'est que la France attend son Grand Soir. Le peuple le réclame. Ceux qui n'embrassent pas le parti des vainqueurs, qui n'adoptent pas leur esthétique, qui ne flattent pas leurs obsessions égalitaires en tous domaines, l'art lui-même n'y échappant pas, seront regardés comme traîtres par le pouvoir futur.

Ce n'est pas la bourgeoisie elle-même que l'on veut ainsi chasser et détruire puisqu'on en fait partie. C'est sa moitié droite qui se réclame de la tradition, qui a des aïeux dans le Berry et qui n'aime pas Françoise Sagan. La moitié gauche veut absolument sa peau.

Comment le sais-je ? La providence m'aura placé des deux côtés à la fois. La première m'a donné mon éducation. L'autre a voulu la corriger. Pendant la deuxième partie du mandat de Valéry Giscard d'Estaing, par conviction autant que par nécessité, j'ai frappé à la porte d'un journal honni pour avoir été racheté par un homme de droite nommé Robert Hersant, Le Figaro.

J'ai plu à l'épouse du patron, laquelle était « toujours d'accord », m'a-t-on dit respectueusement, avec le contenu de mes articles. On m'a donc offert un strapontin au balcon derrière un pilier. Là, j'ai fait ce qu'un jeune homme intelligent devait faire pour ne pas être renvoyé à son milieu d'origine : du journalisme. Mais comment faire le journaliste, dans ces années-là, fréquenter les plateaux, voyager, écrire son premier livre, gagner sa vie en somme, sans faire partie de ceux qui ricanent publiquement de la France de papa ?

C'était impossible. Pour survivre dans la presse, il fallait être anti-bourgeois. Je l'ai donc été d'une manière assez ambiguë pour ne pas me montrer ingrat envers ceux qui m'avaient élevé. J'ai critiqué l'égoïsme, l'inculture et la vanité de la France de Giscard, celle des parties de chasse, celle du couronnement de Bokassa, celle des dîners organisés chez les Français de base, celle des éboueurs au petit déjeuner, celle de la gestion à l'américaine. Mais c'était en somme par fidélité à l'égard des conservateurs qui m'avaient éduqué, et qui détestaient tout cela. Les vieux professeurs, les militaires, les prêtres.

Oui, je dis bien : les prêtres. Une part importante de ceux qui ont été éduqués chez les prêtres n'a rien à leur reprocher, pas même sur le plan sexuel. J'en faisais partie. Impossible de rejoindre la cohorte des geignards qui disaient avoir subi l'injustice sociale, la discipline, le latin, les « attouchements » (et qui continuent aujourd'hui à porter plainte à soixante-dix ans contre un curé mort depuis longtemps).

Je fréquentais donc ceux qui regardaient avec dédain la société française se précipiter vers l'esbroufe, la démagogie, le juridisme et la dette publique. Mais j'étais obligé de gagner ma vie en territoire ennemi, comme ces philosophes du XVIIIe qui jouaient les précepteurs en songeant que le sort les tirerait un jour de leur obscurité.

Dans le même temps, au Conseil d'État de l'époque, siégeait, comme auditeur, une éminence morale, un incorruptible, un ardent serviteur de l'État, mon ancien professeur, Laurent Fabius, avec ses costumes trois-pièces et son sourire parcimonieux. L'institution à laquelle il appartenait promouvait activement le regroupement familial. C'est-à-dire la faculté pour les ouvriers immigrés de faire venir leur famille en France et d'y toucher des allocations, et accessoirement d'y installer l'islam dans la sphère publique, sur fonds venus de l'étranger. Cette politique aura été imposée au Président Giscard d'Estaing, qui était un esprit faible comme le sont tous les snobs, par les technocrates diplômés qui l'entouraient.

Fabius en fut l'apprenti et le successeur. Les fourriers de ce système qui consiste à inviter des gens qui détestent vos usages à venir faire des enfants chez vous, puis à les élever dans le mépris de ce que vous êtes, ces gens ont d'abord voulu donner une leçon à la France de papa dont ils étaient jaloux.

Pourquoi en étaient-ils jaloux ? Pour n'en être pas issus, un peu comme vous êtes jaloux, à huit ans, d'un enfant qui joue très bien du piano. Parce que vous avez été élevé au lycée Pasteur et non à Sainte-Croix de Neuilly et que vous voulez punir ces salauds de cathos en invitant à leur table ceux qui passent, à tort ou à raison, pour leurs pires ennemis historiques.
Il y a aussi une raison plus économique. Francis Bouygues, l'un des grands constructeurs de bâtiments du pays, explique sur un enregistrement de l'époque qu'un ouvrier qui fait venir sa famille auprès de lui est bien plus efficace au travail. C'est donc un précepte à l'américaine qui prévaut. La dérive de notre pays vers une embauche liée à la croissance, sans le moindre égard pour la culture, les usages, l'équilibre psychologique du pays employeur semblait inévitable. Nous ne l'avons pas évitée.

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13 août 2017 à 22:37

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