Raoult face à Véran : la biologie contre les mathématiques

Veran Raoult

Beaucoup pensaient que la science était l’autorité suprême. Seulement, le Covid-19 est passé par-là : la barre du million de morts a été franchie dans le monde, sachant que ce coronavirus a commencé à sévir (officiellement) en Chine dès décembre 2019. Depuis, notre pays, en particulier, connaît une terrible foire d’empoigne, cette dernière incarnée par le match « Didier Raoult/Olivier Véran », entre le fondateur de l’IHU de Marseille et le ministre de la Santé, ou bien entre le microbiologiste et le neurologue. Pourtant, en première instance, on ne pourrait y voir qu’un ridicule « clash médiatique » où les ego éclaboussent encore le citoyen français, qui est maintenant masqué à l’extérieur et invité à limiter ses sorties (à Paris, Lyon, Marseille, entre autres). Sur ce point, le philosophe du vivant Jean Rostand avait saisi l’idée suivante : « Je croyais qu’un savant était toujours un homme qui cherche une vérité, alors que c’est souvent un homme qui vise une place. »

En attendant de rétablir le duel, il convient de comprendre le sens philosophique de cette tension, celle-ci étant d’abord de nature épistémologique. Comment, alors, ne pas donner quitus au patron de l’IHU Méditerranée Infection concernant le diagnostic de la crise sanitaire actuelle ? « L’État a laissé l’industrie du médicament nous dicter sa loi quand il était question de mettre en place des stratégies thérapeutiques qui ne dépendent pas de l’innovation pharmaceutique », affirme-t-il dans le numéro 2 de la revue Front populaire. Ce qui met un coup de pied dans la fourmilière de la haute fonction publique en charge de la santé : une gestion opérée à coups de graphiques, de statistiques et de bilans comptables. Et Raoult ajoute : « Je me suis battu pendant vingt-cinq ans contre le concours de médecine en première année : je trouve que ce numerus clausus n’a aucun sens. » Certes, est-il nécessaire de recruter ici sur la base d’une sélection aussi drastique, qui plus est déterminée pour une grande part par la connaissance absolue des mathématiques ? Rostand l’avait rappelé : « La biologie est la moins mathématisable des sciences parce que la plus lourde en contenu concret. »

À vrai dire, les masques sont tombés : les sociétés libérales se retrouvent à nu ; totalitaires et inégalitaires, puisque la liberté des plus forts ne se conjugue plus avec celle des plus faibles. Autrement dit, l’avoir s’est à ce point identifié à l’être. Ou quand le darwinisme social laisse la place à un darwinisme sanitaire, ce processus s’étant produit parce que le savoir a définitivement divorcé avec le pouvoir. Comme si la pratique des mathématiques ne rendait plus intelligent, alors que la pensée occidentale s’était constituée à l’aune de ces deux exigences : l’une d’ordonner et de mesurer le monde, l’autre de pénétrer les mystères du vivant ; en bref, celles respectivement de Platon et d’Aristote.

Précisément, financiarisation de l’économie oblige, les mathématiques ne semblent plus être, contre Descartes, « la science de l’ordre et de la mesure ». D’autant plus qu’Ernest Renan l’avait en quelque sorte prédit : « Les mathématiques, science de l'éternel et de l'immuable, sont la science de l'irréel. » D’ailleurs, le confinement l’a prouvé : les marchés et les data fonctionnent perpétuellement à plein régime. En somme, la raison n’en a pas fini de ruser, le technoscientisme et sa dernière émanation, le transhumanisme, ne pouvant jamais être en crise.

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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