Qui manque de courage : les militaires ou le pouvoir ?

On a toujours tort de se moquer.

Gérald Darmanin, en tournant en dérision la nouvelle tribune des 2.000 militaires d'active et en ridiculisant leur « courage » puisque, réglementairement, leur anonymat était obligatoire, ne s'est pas grandi et surtout n'a pas fait preuve du sens politique qu'en général on lui reconnaît et dont il a su user pour sa propre carrière.

La pétition est validée par un très grand nombre de signataires et renforce l'impact qu'avait déjà eu la première lettre ouverte des généraux.

Mais je conçois qu'au regard de la réserve républicaine, et malgré l'anonymat (qui n'empêchera pas les identifications et les mises en cause), des politiques et des citoyens soient sincèrement choqués par cette protestation collective renouvelée infiniment plus claire, à la fois défendant l'honneur des généraux stigmatisés, dénonçant l'état de la France et s'alarmant d'une possible guerre civile.

Elle confirme aussi qu'un lien a été durablement rompu entre le Président et la société militaire avec l'affront fait au général Pierre de Villiers.

Les réactions du pouvoir sont demeurées dans le registre pauvre que depuis le début il cultive : manœuvre politique, extrême droite, manipulation, honte de l'anonymat derrière lequel ils se cachent et défi d'avoir à se lancer dans la politique active pour affirmer ce qu'ils pensent et veulent.

Autrement dit, son obsession est de s'attacher aux conséquences de cette tribune, d'en pourfendre les rédacteurs, d'en décrier les signataires et de tenter d'en détourner les soutiens et les partisans. De la considérer comme une inadmissible transgression.

Toutefois, les causes méritent d'être questionnées et de faire réfléchir le Président et le gouvernement sur l'ampleur et l'impact d'une telle initiative, comme si le peuple avait d'une certaine façon attendu les militaires pour qu'ils reprennent sa parole d'indignation, de déclin et d'angoisse ou l'expriment avec plus de vigueur et de légitimité, compte tenu de leur expérience de soldats du feu. Tout sauf des lâches. Ils n'ont fait que se battre pour la France !

On a l'impression, à entendre Premier ministre ou ministres avec leurs éléments de langage, que ces militaires d'active ont eu la lubie, un matin, sans la moindre nécessité, de tenter l'audace d'une lettre ouverte, sous ce mandat comme ils auraient pu le faire sous d'autres, et qu'il s'agit d'un caprice que la discipline apaisera vite. Alors qu'il n'est ni neutre ni indifférent que ces quatre premières années d'Emmanuel Macron l'aient précisément inspirée et imposée.

C'est ne rigoureusement rien comprendre à la gravité d'un climat, à la fracture de la France - avec, en effet, un horizon de guerre civile si on laisse aller -, aux violences quotidiennes, parfois criminelles, contre la police, à l'immigration qui n'est pas maîtrisée, au droit d'asile dévoyé et au constat que notre quotidien n'est plus protégé ni gouverné au sens familier du terme.

Avant Emmanuel Macron, on a commencé à s'en prendre aux pompiers. Sous ce mandat, il faut protéger les policiers qui sont censés nous protéger et, chaque jour, sont attirés dans des guet-apens. On est passé d'une France vivable à une France invivable, d'une démocratie du possible à celle de l'impuissance.

Ce n'est pas la frénésie législative de l'instant qui me fera changer d'avis : elle n'est pas contradictoire avec une autorité de l'État défaillante mais lui correspond au contraire. Les pouvoirs sûrs d'eux ne s'agitent pas mais agissent.

C'est refuser de prendre la juste mesure des déconstructions, des délitements, des repentances et de cette propension funeste à craindre l'ennemi mais à lui tendre son cou.

Ce ne sont pas ces militaires d'active sortis de leur retenue qui ont inventé cette atmosphère ni fabriqué cette France de la désespérance et de la stupéfaction attristée ou furieuse. Ce qui se déroule sous nos yeux et qu'ils décrivent n'est pas de la fiction. Ce pays, à Avignon comme à Fréjus et en tant d'autres lieux, nuit et jour, est abandonné soit parce que la coupe de l'intolérable est trop pleine soit à cause d'une philosophie sociale et gouvernementale qui se fait une gloire de sa mollesse et de ses variations.

Ces cités dans les mains d'une minorité de voyous qui trafiquent et terrorisent. Cette République coupée en mille morceaux, en communautés dont l'union est devenue un rêve impossible et qui sont au bord du « face-à-face ».

Ces militaires, que leur condition rend plus sensibles et vigilants que d'autres, ont vu l'état de notre pays sombrer tellement aux antipodes de leurs valeurs institutionnelles - ordre, autorité, respect, discipline, protection et dignité -, si éloigné du culte de la France, de sa fierté et de son Histoire, qu'à l'évidence leur devoir leur imposait une pratique de rupture. La comparaison avec les résistants de 1940 est absurde et choquante, mais il n'en demeure pas moins que cette deuxième lettre ouverte peut s'honorer d'une lucidité rare et favoriser un vrai sursaut.

Les militaires ne nous ont rien appris. Depuis quatre ans, nous sommes nombreux à juger médiocre le bilan d'Emmanuel Macron en matière régalienne. Parce que le Président n'a jamais su parler cette langue et qu'elle ne peut que lui déplaire puisqu'elle ne tolère pas le « en même temps ».

Ce n'est pas par hasard que, de tous bords - à l'exception de LFI aveugle et de LREM naïve -, l'autorité de l'État est désirée, la fermeté revendiquée, les sanctions réclamées et qu'on veut des peines exécutées. Et une immigration au moins suspendue.

Quand je vois ce même constat être quasiment général - Bruno Retailleau et Xavier Bertrand, bien sûr, mais tout récemment Michel Barnier qui adopte une ligne dure et d'autres encore, on n'est même pas obligé de mentionner Marine Le Pen ! -, il est interdit de traiter avec condescendance cette tribune et, pire, de ne pas la prendre pour un très mauvais bulletin de santé de la France.

Ou le pouvoir ne connaissait pas l'état profond et lamentable du pays et on le lui apprend. Ou il savait mais restait l'arme au pied. Dans les deux cas, c'est traumatisant pour les citoyens.

À l'avenir, si on pouvait éviter de se poser la question du courage entre ceux qui en ont fait preuve sur les champs de bataille et ceux qui, dans la conduite des choses publiques, nous privent sans cesse de la concrétisation de cette vertu capitale, ce serait au moins décent.

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Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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