Et si la crise sanitaire permettait à la Justice française de se réformer, en rationalisant son fonctionnement ? Nul doute que cette simple proposition fera bondir nombre de confrères, attachés pour l’un à la plaidoirie à l’ancienne, pour l’autre aux audiences correctionnelles publiques, pour le troisième à la collégialité des tribunaux (trois juges). Sans bouleverser le système, le fonctionnement dégradé auquel nous sommes contraints depuis le 15 mars donne quelques pistes intéressantes.

La première est qu’il ne faut pas supprimer les plaidoiries mais les adapter aux exigences d’un fonctionnement rationalisé. Hormis quelques dinosaures du barreau, plus personne ne plaide ses dossiers comme en 1970. Quoique… Certains ne s’en privent pas. L’encombrement du rôle des tribunaux rend cela impossible, et lassant… Néanmoins, même dans une procédure écrite, les observations orales sont utiles : elles permettent de souligner les aspects essentiels d’une affaire, d’attirer l’attention d’un juge, y compris en usant d’un talent oratoire qui rend soudain intéressant ce qui, à l’écrit, passe inaperçu. À condition de ne pas raconter sa vie.

La deuxième est qu’il faut généraliser les procédures écrites, telles qu’elles se pratiquent depuis toujours devant les tribunaux de grande instance (devenus tribunaux judiciaires), la cour d’appel et les juridictions administratives. Devant les autres juridictions la procédure est orale : tout à fait adaptée à la justice de paix des Nouvelles de Maupassant, cette procédure obsolète ne tient aucun compte de la complexité du droit, et de l’importance d’une argumentation bien rédigée, articulée et synthétique. L’époque n’est plus au plaideur qui, son panier de volailles à la main, vient, le jour du marché, demander justice contre le marchand indélicat.

Dans la pratique, la justice commerciale et celle du travail se traitent essentiellement par l’intermédiaire de conclusions écrites. Mais elles ne sont pas obligatoires. Instituer cette obligation imposera une rigueur procédurale bienvenue devant des juridictions au fonctionnement parfois poussiéreux.

La troisième est qu’il est possible d’envisager des audiences dématérialisées, notamment lorsque les avocats doivent se déplacer loin. Chacun y gagnera. L’avocat n’a aucun intérêt à passer sa journée en voyage, pour un coût important qu’il ne peut pas répercuter intégralement à son client. Ce dernier aussi. Une affaire simple, arguments écrits et pièces échangés préalablement, peut parfaitement se tenir de cette manière. Les audiences de référé sont adaptées à ce type de fonctionnement. Rapidité, économie, rationalisation. Sans compter que c’est bon pour la planète, comme diraient les écologistes.

Enfin, comme le soulignait un avocat dans L’Opinion, la situation présente démontre que de nombreuses audiences sont inutiles et qu’elles pourraient être supprimées, notamment les audiences de procédure à l’occasion desquelles certains tribunaux ont mis en place de véritables usines à gaz, destinées avant tout à gérer des flux. Sans espérer une simplification du droit, illusoire dans nos sociétés libérales, ni prôner une énième réforme de la procédure, l’institution gagnerait à imposer à ses acteurs, notamment avocats et experts, des délais plus resserrés : il n’est pas tolérable que la cause d’un justiciable traîne des mois durant sous prétexte qu’un avocat n’a pas effectué les diligences procédurales dans des délais raisonnables.

L’institution représentative du barreau pourrait se pencher sur ces questions. Au lieu d’envoyer un char à la Marche des fiertés, puis de tergiverser à propos de la réforme des retraites avant de lancer un mouvement de grève suicidaire, travailler utilement avec le ministère pour améliorer l’efficacité de la Justice française l’honorerait.

3989 vues

28 avril 2020 à 20:02

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.