"Ce procès a été capital pour l'avenir du terrorisme jugé et pour la démocratie"

Philippe Bilger réagit au verdict du procès Merah et aux condamnations à vingt ans de réclusion pour Abdelkader Merah et quatorze ans pour Fettah Malki.

A l'issue de cinq semaines de procès, Abdelkader Merah connait enfin son sort.
Il a étéreconnu coupable d'association de malfaiteurs terroriste.
Il écope donc d'une peine de 20 ans de réclusion criminelle.
Que pensez-vous de ce verdict ?

N'ayant pas assisté au débat, je vous parle avec beaucoup de modestie.
J'ai bien sûr lu beaucoup de comptes-rendus. Mais il y a une grande différence entre celui qui assiste et celui qui se contente de lire les comptes-rendus, même s'il est ancien magistrat.
Cette décision a été rendue au bout de plus de sept heures de délibéré. Je présume donc qu'elle a été longuement discutée, intensément débattue et qu'elle est par conséquent d'une certaine manière cohérente dans l'esprit des juges.
A priori et superficiellement, je trouve qu'il y a une petite contradiction, mais que peut-être on pourra lever, entre la condamnation à 20 ans pour association de malfaiteurs terroriste et l'acquittement pour complicité d'assassinat.
Au fond, on aurait pu penser que la condamnation pour association de malfaiteurs terroriste aurait entraîné presque automatiquement la condamnation pour complicité d'assassinat.
Il est tout à fait possible que la condamnation pour association de malfaiteurs terroriste à 20 ans de réclusion ait été édictée parce qu'on a pu considérer que les éléments factuels de l'accusation pour démontrer la complicité d'assassinat n'étaient pas suffisants pour constituer une preuve.

Personne ne doute de la responsabilité d'Abdelkader Merah dans la radicalisation de son frère. C'est une certitude.
Mais il y aurait, selon son conseil, aucune preuve tangible quant à sa complicité.

L'alternative est la suivante.
Soit le choix de la cour d'assises spécialement composée est une solution de repli, presque de tranquillité, consistant à condamner tout de même pour association de malfaiteurs terroriste quelqu'un qu'on n'aurait pas pu acquitter totalement.
Soit la cour a considéré, comme nous venons de le mentionner, que la culpabilité de Merah pour association de malfaiteurs terroriste n'était pas elle-même de nature à emporter la condamnation pour complicité d'assassinat terroriste dès lors que les seules preuves rapportées par l'accusation n'étaient pas déterminantes pour la complicité.
En effet, la complicité est une notion importante, mais difficile à définir. Il faut l'aide, l'assistance, l'influence, l'inspiration, la provocation... Elle relève à la fois de l'intellectuel et du matériel. Il faut qu'il y ait quelques preuves concrètes pour établir la complicité.
Apparemment la cour d'assises ne les a pas trouvées dans le réquisitoire pourtant brillant de l'avocate générale.
Malki a eu la même condamnation, mais à 14 ans de réclusion. Ils ont considéré que son rôle dans l'association de malfaiteurs était moins important et moins grave. Peut-être a-t-il aussi était plus habile dans ses derniers mots devant la cour d'assises.

Vous qui avez une longue carrière de magistrat derrière vous.
La pression médiatique a-t-elle joué un rôle important dans ce procès ?

Peut-être inconsciemment, mais j'ai certes eu l'impression, en l'ayant observé de l'extérieur, que ces cinq semaines ont été intenses, éprouvantes, dures, dramatiques, pleines de polémiques et de controverses.
Mais elles m'ont semblé de qualités. Il y a eu de l'intelligence, de l'émotion, un grand réquisitoire, de grandes plaidoiries de défense et un délibéré à la hauteur du problème qui était posé.
Je ne crois pas qu'il y ait eu une influence médiatique directe sur le procès et sur la posture des parties. Elles étaient assez lucides pour savoir que le débat qui allait être tranché était capital pour l'avenir des terroristes jugés et tout simplement pour la démocratie.