Politiques : un peu de modestie !

Pedro Sanchez

Les totalitarismes nazi, communiste et maoïste, l'horreur cambodgienne avaient pour obsession de faire table rase et, sous des registres différents, d'inventer un homme nouveau, un parfait aryen ou un militant conditionné et sans passé. On n'a pas oublié, on ne doit pas l'oublier.

J'ose postuler que ces délires portés à ce point d'absurdité, avec leurs affreuses conséquences et leurs millions de morts, sont derrière nous.

Mais, pourtant, sur un mode plus badin, dans un climat démocratique, il y a toujours quelque chose qui demeure de ces tentatives odieuses et maléfiques de laisser croire à une autre humanité, à une politique inédite.

En 1981, Jack Lang nous annonce, sans rire, le passage de la « frontière qui sépare la nuit de la lumière ». On a vu.

Le Président Macron a construit sa campagne fulgurante et dégagiste en nous promettant qu'un nouveau monde allait succéder à l'ancien. On a vu.

Pedro Sánchez, le sympathique et valeureux président du gouvernement d'Espagne, socialiste, vient de remporter les élections et, sans frémir, il déclare que « l'avenir a gagné et que le passé a perdu ». On verra.

Les uns et les autres, et tous ceux qui, moins connus, se sont embarqués dans les mêmes fantasmes, sont-ils sincères ou croient-ils utile de respecter le jeu conventionnel de la vie politique dans le monde ? De promettre le bouleversement et l'inconcevable pour être sûrs, au moins, d'attraper « un petit quelque chose » ?

Ils seraient les seuls à pouvoir gouverner et présider et, avec eux, l'Histoire sera une page blanche sur laquelle ils écriront un texte inouï.

Il y a des citoyens tellement épris d'aurores que, dégoûtés des crépuscules fatigués, ils s'engouffrent avec un enthousiasme vite meurtri dans celles qu'on leur a présentées, parfois avec talent.

Si les politiques sont sincères, une telle illusion est tragique.

Cyniques, une telle prétention est détestable.

Rien n'est plus dévastateur que « cette poudre aux yeux » démocratique qui s'offre comme une révolution et qui, dans le meilleur des cas, sera une gestion la moins médiocre possible et la plus apaisante peut-être d'un pays avec ses forces, ses attentes, ses tensions et ses futures déceptions.

Libérez les politiques de l'illusion et apprenez-leur la modestie qui les conduira à promettre moins et à tenir davantage.

L'ancien monde est inachevé, imparfait, soit, mais il vaut mieux que l'invocation, dissipée en un trait de temps, d'un nouveau monde, d'un avenir, d'une lumière espérés mais dévoyés en pièges à électeurs.

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Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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