[Point de vue] Étalement urbain : la France moche

site_chain_crane_operator_remote_control_steel_framework_steel_for_construction_construction_site_pit-1363987

L’urbanisation mange la terre. Et elle enlaidit notre pays. En France, tous les ans, ce sont près de 30.000 hectares – soit trois fois la surface de Paris intra muros – qui passent du statut de terres agricoles à celui de terres urbaines : constructions d’habitations, routes, parkings, centres commerciaux, etc. Dans le même temps que les lotissements et zones commerciales se multiplient, les centres-villes se meurent : logements vacants et délabrés, commerces à louer ne trouvant pas de repreneurs. Depuis 50 ans (c’est-à-dire depuis le début des années 1970), la ville s’étale, non plus par les grands ensembles mais par les pavillons. Des pavillons de plus en plus loin des centres. Car à mesure que la ville s’étale, les pavillons sont de plus en plus souvent détruits et expropriés dans les proches banlieues. Là où la variété de leurs architectures était un véritable patrimoine profitant à tous. Gâchis et incohérence !

L’étalement urbain nécessite la voiture, et la voiture rend possible l’étalement urbain. C’est l’histoire de l’œuf et de la poule. C’est une économie circulaire, mais qui fonctionne pour le pire et non pour le meilleur. Un demi-siècle d’étalement urbain a créé la France moche. On continue de construire des bâtiments de bureaux dont beaucoup de plateaux restent vides. On est toujours incapable de construire des immeubles mixtes habitat-activités. On ne sait pas transformer suffisamment l’existant. On commence à aménager des voies de bus en site propre et, au milieu du chantier, on décide de faire un tramway, cinq fois plus coûteux au kilomètre linéaire et guère plus utile. On crée une gare à la Bibliothèque nationale de France (à Paris) à la place de la gare qui existait, boulevard Masséna. Résultat : il y a 800 mètres à parcourir pour la correspondance avec les transports du boulevard des Maréchaux, au lieu de 50 mètres. Et il reste une ancienne gare dont on ne sait plus que faire. Ah si, un « lieu d’agriculture en balcons », une « tour de Babel de l’alimentation »… Incohérence et gaspillage de l’argent public. On n’améliore pas ce qui existe. On fait du neuf pour faire du neuf. Parce que cela est plus spectaculaire, rapporte plus et est plus facile. Et on consomme allègrement de nouveaux espaces.

La loi du 22 août 2021, dite « climat et résilience », visait à une artificialisation ramenée à zéro en 2050. Objectif certes quelque peu technocratique mais incontestablement louable. Une proposition de loi de mars 2023 vise à vider cette loi de son contenu en excluant les « grands projets » et ceux liés à la souveraineté économique, les bâtiments agricoles, etc., et en privilégiant le « dialogue » entre collectivités locales. Bref, en tournant autour du pot pour que la loi d’août 2021 – pour une fois bien inspirée – reste lettre morte.

Il faut changer de logique et, au-delà des lois, changer de regard sur nos territoires, et en prendre soin. Détruire moins et améliorer plus. Dépenser moins dans des travaux neufs et entretenir mieux l’existant. Faire avant tout que ce qui existe fonctionne. À quoi sert un tramway flambant neuf s’il faut l’attendre 30 minutes ? Et si la sécurité des passagers n’est pas assurée, faute de personnel ? Et, surtout, il faut préserver des espaces non urbanisables, retrouver le sens des limites de la ville, ne plus gaspiller l’espace. Pour cela, sans doute faut-il en finir avec les croisements de financements et de décisions qui interdit de savoir qui est responsable de quoi. Rendre obligatoires les référendums locaux et le chiffrage public des projets. Mettre de la démocratie locale et de la démocratie directe partout où cela est possible. Remettre les municipalités à l’échelle des hommes et, donc, en finir avec les trop grandes municipalités et intercommunalités. 100.000 habitants, c’est déjà beaucoup, pour gérer un territoire urbain. Se réveiller des mauvais rêves comme la fusion entre Boulogne-Billancourt et Issy-les-Moulineaux ou entre les Hauts-de-Seine et les Yvelines. Au-delà d’une certaine échelle, plus personne n’a une vision d’ensemble des choses. Retrouver le sens des limites, nous dit le philosophe Olivier Rey. C’est bien de cela qu’il s’agit.

Pierre Le Vigan
Pierre Le Vigan
Écrivain, journaliste, juriste

Vos commentaires

30 commentaires

  1. Si les centres-villes sont délabrés, s’il font place au moderne moche c’est parce qu’on rince la classe moyenne d’impôts: elle n’a plus l’argent pour faire travailler les artisans, couvreurs, plâtriers, charpentiers, peintres, etc. Plus de belles façades, finis les crépis séculaires et bien trop chers, vive la pierre apparente, habituons nous au moche! Il faut donc méditer sur la volonté gouvernementale actuelle de relancer l’apprentissage et les lycées professionnels: pour quoi faire? Des chômeurs? Une classe d’artisans ne vit que de la classe sensée l’employer; mais la France de M le Maire c’est le faire-semblant: on ne baisse aucun impôt et l’on donne des aides bidons, insuffisantes et auxquelles on n’a jamais droit.

  2. Ceci dit, il fallait bien créer de l’habitat afin d’accueillir dignement les 15 millions de nouveaux Français d’importation.

  3. La France, c’est quoi ? Évidement c’est plus, c’est un territoire conquis par les états unis, non ? hé bien regardez les villes d’outre Atlantique totalement comparable dans la laideur à la notre en regardant les constructions des zones zones industriels et commerciales. Une ville pittoresque qu’était, il fut un temps en côte d’Armor, pour ne pas la citer, un petit port, une arrivé sur la ville très charmante ou trônait un petit bateau de pêche nous annonçant une ville de pêcheurs de langoustes et crustacés, qu’est elle devenus à présent !

  4. Artificialisation des sols ramenée à zéro d’ici 2050…Sans même évoquer un pur dommage esthétique, l’on n’en prend pas franchement le chemin eu égard à certains projets autoroutiers ! Et pendant ce temps, il paraît que la biodiversité s’effondre…

  5. C’est bien ça, fini le rêve d’un petit pavillon, où les enfants pourraient jouer en toute sécurité dans le jardin, où on profiterait d’un beau dimanche pour se faire un petit barbecue en famille etc….
    Désormais, nous devons d’abord penser à la planète, et pour ça, plus question de s »étaler ».
    Il faut nous entasser dans des collectifs, bien moins gourmands en espace et loger sa famille à prix d’or dans 70 M2, où le télétravail y sera vivement recommandé ( bien plus écolo).
    On nous y livrera nos courses et ils prendront soin de notre santé en nous piquant régulièrement et en nous administrant des compléments alimentaires…un peu comme des lapins en quelque sorte!
    Au fait, ils habitent dans quoi ceux qui nous donnent des belles leçons de vie collective ?
     » Faites ce que je dis, pas ce que je fais » vous connaissez ?

    • Télétravail plus écolo, permettez moi d’en douter. Pourquoi? D’abord les patrons qui économisent l’énergie pas pour le télétravaillant qui lui voit ses charges augmenter. Les data centers qui de plus en plus gros produisent du CO2 en quantité non négligeable. Et surtout perte du travail en équipe.

      • Entendre par là, Jacques, que pour les ecolos- bobos, les déplacements humains contribuent au réchauffement de la planète !

    • Entre le petit pavillon entouré du petit jardin où traîne toujours des objets inutiles et moches et un immeuble collectif il y a d’autres solutions, c’est ainsi que par hasard j’ai vu à Stockholm tout un quartier périurbain de jolis petits immeubles de deux à trois étages, avec des balcons et des terrasses entourés d’un petit parc à usage collectif desservi par une ligne de transport en commun assurant une desserte régulière vers le centre-ville.

    • merci pour votre commentaire, car c’et exactement ce qu’ils veulent : « vous n’aurez plus rien et vous serez heureux »! Et ce avec des arguments totalement faux et manipulatoires, comme dans toute dictature d’ailleurs.
      Qu’ils viennent me prendre mon chez moi, qu’ils voient un peu.

  6. Ce qui m’a marqué dans le sud de l’Espagne (Murcia, Alicante) quand j’y travaillais il y a 30 ans, c’est la limite des petites villes qui ressemblait à un mur, d’un côté les derniers immeubles qui resemblaient à des immeubles de centre ville, de l’autre côté les surfaces agricoles qui commencaient. Le classement en zone constructible y était probablement plus rigoureux qu’en France, sans doute la prérogative d’un organisme national. Quand on délègue trop dans un mille-feuilles administratif, les choses deviennent floues …

    • Ce qui rend les choses floues, c’est surtout la corruption, enfant naturel (mais non reconnu) de la croissance administrative sans frein.

  7. Et si on hypothéquait les biens personnels de ces élus en cas de mauvaise gestion, la collectivité se ferait rembourser sur ces biens hypothéqués, je pense qu’ils réfléchiraient à deux fois avant d’engager la collectivité dans tel ou tel projet !

  8. Soyez clair.
    Cela permet au BTP d’entretenir des relations « harmonieuses » avec les élus, et réciproquement, sur le dos des contribuables.

  9. Construire toujours plus dans un pays dont le nombre des souchiens va diminuant , c’est un crime contre Nature.

  10. Oh que oui ! Que la France (ma France) est devenue moche depuis 50 ans que ça bétonne avec un goût ….de chiottes. Et pourtant j’ai et j’avais des bâtisseurs dans ma famille, mais tant de hideuses mochetés, mon arrière grand père compagnon du tour de France et bâtisseur annexe de la citadelle de Belfort doit se retourner dans sa tombe !

  11. Les « médias » peinent à traverser la barrière du périphérique de Paris … même lorsque qu’ils abordent l’écologie … Ils « savent » ce qu’est la ruralité, en février lors du « salon de l’Agriculture » ! …
    Alors regardons donc ce qui se passe à Paris depuis bien longtemps … « LA-dingo-du-vélo » massacre toute la beauté de Paris sans plus aucune retenue … et surtout depuis qu’on lui a « filé » les JO 2024 …
    Pour la ruralité, on fait pousser des « champs d’éoliennes » comme si c’était de simples tulipes … La catastrophe ecolo-économique est annoncée depuis très longtemps mais le « en même temps » cet auto proclamé « premier de cordée » continue l’anéantissement de la FRANCE méthodiquement ! …

  12. Tout à fait d’accord avec cette analyse. La voilà la vraie écologie. Cessons de bétonner, de sacrifier des prés et des champs pour construire des bâtiments horribles et des parkings pour vendre de la merdasse en plastic venant de Chine. Et pour chaque construction commerciale ou industrielle, introduisons une clause de remise à l’état d’origine en cas de faillite ou de cessation d’activité sans repreneur.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Revivez le Grand oral des candidats de droite

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois