[POINT DE VUE] Pour saluer la mémoire de notre ami Benoît Rayski

Capture d'écran Public Sénat
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Benoît Rayski a contribué aux débuts de Boulevard Voltaire. Il nous a quittés, la semaine dernière, à 86 ans. C’est d’ailleurs au moment de la création de ce site, fondé par Robert et Emmanuelle Ménard, que je fis sa connaissance, lors de la première Manif pour tous. Au domicile parisien du couple biterrois, il y avait aussi monseigneur Antoine de Rochebrune, de l’Opus Dei. Étrange mélange des genres que seule la divine Providence est à même de susciter.

Avant d’aller battre le pavé, tout le monde se regarde, un peu en chiens de faïence. Je sais qui « est » Benoît Rayski ; il sait à peu près qui je suis. Il est de gauche ? Je serais plutôt classé à droite. On se présente. Les mains tendues semblent sincères, mais un brin hésitantes. Logique. Il vient du Matin de Paris, de L’Événement du jeudi et de Globe. Moi de National Hebdo, du Choc du mois et de Minute.

Pourtant, nous sommes là pour défendre la famille, institution malgré tout commune à toutes les civilisations, les cultures, les religions, abrahamiques ou pas, transcendant même les options politiques de tel ou tel. Histoire de détendre l’atmosphère, je lance la blagounette qui tue : « Étrange situation que la nôtre, consistant à aller marcher pour la famille traditionnelle, alors qu’il n’y a plus guère que les prêtres et les homosexuels qui aient encore envie de se marier… »

Monseigneur de Rochebrune rit de bon cœur et Benoît Rayski n’est pas en reste. Comme chez les Ménard, couple spartiate s’il en est, on ne peut fumer, je me réfugie avec le futur ami Benoît sur le balcon, histoire d’en griller une, verre de vin à la main. Miracle : nous fumons tous deux des Dunhill rouge ; ce qui crée illico un début de lien : des amitiés durables peuvent se nouer sur des petits riens.

De SOS Racisme à Boulevard Voltaire

Nous parlons politique. À ses yeux, je suis encore le diable. Aux miens, il l’est plus encore : il a travaillé à Globe, organe plus ou moins officieux de SOS Racisme, cette officine téléguidée par l’Élysée à cause de laquelle nos enfants d’immigrés ont fini par croire que tous leurs malheurs venaient du racisme de leurs compatriotes de souche. Les premiers ont fini par adopter cette culture victimaire.

La discussion est franche. Ce ne sera pas la dernière. Plus de dix ans d’engueulades sans jamais se fâcher ? Une sorte de record. Mais il est vrai que le défunt n’était pas exactement n’importe qui ; son père, surtout, Adam Rayski, était l’un des principaux fondateurs du Groupe Manouchian. Benoît était le fruit de cet héritage : famille judéo-polonaise communiant dans la foi communiste, mais s’étant battue pour la France ; soit quatre identités plus ou moins bien superposées.

Chez lui, on sent vite que la figure du père est écrasante. Adam Rayski ? Résistant de la première heure, malgré le pacte germano-soviétique, titulaire de la croix de guerre et de la médaille de la Résistance française, héros de la Libération ; mais tôt persécuté en Pologne, cette terre natale dans laquelle il retourne dès la fin de la guerre, mais où le Parti communiste local ne tarde pas à le persécuter, en raison de sa judaïté.

Dilemme familial que Benoît Rayski tentera de me résumer à de multiples reprises : « J’ai été élevé dans la religion rouge, mais qu'y pouvais-je, même si j’en suis depuis longtemps revenu ? Je me sens de gauche, je me sens polonais, je me sens juif, mais je me sens avant tout français. » De mon côté, tout ce que je contentais à sentir, c’était cette improbable amitié en devenir.

Défenseur de Dominique Venner

Et lorsque nous n’étions véritablement pas d’accord, ce qui arriva une fois, ce fut pour d’improbables raisons. Il venait de signer un ouvrage, Viva la muerte (Saint-Honoré), dans lequel il rendait hommage à la figure de Dominique Venner, figure du nationalisme européen qui s’est suicidée le 21 mai 2013, dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Personnellement, je n’ai jamais bien saisi ce qu’il pouvait y avoir de grandiose en ce geste. Éveiller les consciences européennes, certes. Mais se tirer une balle dans la tête pour signifier à ses éventuelles troupes qu’il est l’heure de monter au combat... Le concept me paraît encore des plus incertains.

Quel paradoxe ! Lui défend Dominique Venner, et moi non. Ce qui s’appelle jouer à fronts renversés, même si l’humour yiddish, là de circonstance, finit par évidemment nous réconcilier. D’ailleurs, après son parcours politique des plus sinueux, où campait l’ami Benoît ? Communiste, il ne l’était plus. De gauche, il l'était toujours, mais de gauche patriote. Ce qui peut expliquer que, malgré son tête-à-queue réactionnaire, il pestait, lors de la dernière élection présidentielle, contre un Éric Zemmour qu’il vouait aux gémonies, si d’aventure il en arrivait à priver Marine Le Pen d’un second tour.

Peut-être se reconnaissait-il plus dans la ligne mariniste, populiste et sociale, en un Jordan Bardella, enfant d’immigré comme lui, que dans cet essayiste conservateur, plébiscité par les abonnés du Figaro Magazine et les habitants des beaux quartiers parisiens.

La dernière fois que j’ai eu Benoît Rayski au téléphone, c’était pour évoquer la mémoire de son père, à propos de la panthéonisation du couple Manouchian. Cette récupération macronienne lui mettait le cœur au bord des lèvres, tout autant que celle d’un Parti communiste niant alors leurs origines étrangères.

Bref, une fois encore, le disparu défendait la mémoire de l’auteur de ses jours. Prions pour qu’il l’ait enfin rejoint. Adieu, mon cher, mon très cher Benoît. Nos conversations me manqueront.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Délicat et touchant article qui prouve qu’on peut ne pas être du même avis mais se parler et se respecter.

  2. Toute mes condoléances à sa famille , paix à son âme . C’est une très belle histoire d’ amitié que vous avez partagé malgré vos parcours totalement différents . Benoit Rayski a eu d’autant la dent dure contre le gauchisme qu’il en connaissait parfaitement les rouages de l’intérieur .
    Il a dénoncé très tôt l’antisémitisme des banlieues qui a provoqué l’exil intérieur puis l’exil vers israël d’une partie de la population qui se revendiquait française d’abord avant dêtre de confession juive . Au contraire de cette immigration qui participe à disloquer la population française en communautés , tout cela au nom d’une tradition d’accueil qui ferait de la France une terre d’immigration, invoquée surtout depuis qu’elle peut inverser par son nombre exponentiel, le cours d’une élection! L’enfer est pavé de bonnes intentions ! Je pense que c’est une maxime que n’aurait pas renié Benoit Rayski!

  3. Faut pas être bien chrétien pour ne pas comprendre le geste de Dominique Venner à Notre-Dame de Paris…

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