Péages gratuits : faut-il envoyer la facture aux automobilistes resquilleurs ?

gilets jaunes autoroutes

Vinci Autoroutes n'est pas sympa avec les usagers de la route qui ont profité, ces dernières semaines, des péages gratuits organisés par les gilets jaunes. Pas de petit cadeau à l'approche de Noël ! Elle a l'intention d'envoyer la facture aux resquilleurs qui n'ont pas d'eux-mêmes régularisé leur situation : ils ont été identifiés par des caméras de surveillance. Mais qu'ils se rassurent : l'entreprise ne compte pas leur demander la majoration de vingt euros.

Le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a estimé qu'"on ne peut pas faire cela", ajoutant : "Je sais très bien comment cela va se finir, sans doute que c'est l'État qui va devoir payer une grande partie de la facture [...] ou sinon cela sera répercuté d'une façon ou d'une autre sur les tarifs d'autoroutes". Quant à Benjamin Griveaux, il juge « très incongrue » cette demande de régularisation. Sans doute ne tiennent-ils pas, alors que la popularité de l'exécutif n'en finit pas de chuter, à donner une raison supplémentaire aux Français d'être mécontents.

Il faut dire que l'initiative de Vinci est pour le moins discutable. S'il est normal que cette société se plaigne de la destruction ou de l'incendie de barrières de péage, comme à Bandol, dans la nuit de lundi à mardi, elle pourrait être plus indulgente avec les « péages gratuits ».

D'abord, parce que les sociétés d'autoroute se portent bien. On ne va pas pleurer sur leur sort. En 2005, Dominique de Villepin s'était laissé convaincre par Bercy qu'en procédant à leur privatisation, il ferait baisser la dette : en fait, l'État perdit surtout le revenu annuel qui lui permettait de financer les travaux routiers dont on avait besoin. Encore un calcul à court terme !

Ensuite, parce que c'est peut-être leur intérêt. On sait que, depuis cinq ans, les sociétés d'autoroute peuvent consulter directement le fichier des plaques d'immatriculation du ministère de l'Intérieur. Des esprits malintentionnés pourraient estimer que, même si la CNIL a donné l'autorisation de mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité la constatation et le suivi des infractions au péage, cette intrusion dans la vie privée est quelque peu indiscrète. On comprend mieux les réticences de François de Rugy et Benjamin Griveaux.

Les plus pessimistes (ou les plus réalistes) se diront que, décidément, les plus riches sont les plus pingres. Si des gilets jaunes ont pu causer du tort à de petits commerçants – qui ne les condamnent pas pour autant –, ce n'est pas le cas de ces grosses sociétés. De plus, elles ignorent l'attrait qu'on peut trouver à resquiller, quand ce n'est pas une habitude, surtout si l'entreprise n'a pas la réputation d'avoir des tarifs bon marché. Sans compter qu'on ne peut guère accuser de malhonnêteté des automobilistes qui n'avaient pas la possibilité de verser leur dû.

Si les sociétés d'autoroute veulent se faire une bonne publicité, elles feraient mieux de passer l'éponge et de ne pas chercher à retrouver ces resquilleurs malgré eux. Ce n'est pas demain qu'elles déposeront leur bilan, avec le pactole auquel l'État leur a imprudemment donné accès !

Aux dernières nouvelles, Vinci Autoroutes a décidé de renoncer à cette procédure « sans doute insuffisamment expliquée, donc mal comprise ».

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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