Pas de chars lourds pour l’Ukraine, pour l’instant : la fin de la fuite en avant ?

olaf scholz

L'Allemagne a-t-elle pris conscience que la livraison de chars lourds Leopard 2 à l'Ukraine constituerait une dangereuse escalade ? Ce n'est, bien sûr, pas l'explication donnée à ce qui est pour le moment un refus à une demande insistante de Kiev qui s'est permis, depuis Davos, de faire la leçon au chancelier allemand qui s'est montré réservé sur le sujet. Vendredi, dans cette réunion de Ramstein où la décision n'a donc pas été prise, le nouveau ministre de la Défense allemand Boris Pistorius lui a répondu : « Nous pesons simplement le pour et le contre. » Parole d'or qui devrait précéder toute décision politique, et singulièrement pour la guerre et cette guerre qui, en s'internationalisant, menace la paix sur tout le Vieux Continent.

Ce refus d'accéder aux exigences de Kiev, qui réclame 300 chars Leopard, marque-t-il un tournant ? Difficile de le dire. Mais si l'Allemagne décidait de le concrétiser, il pourrait constituer le début d'une autonomisation de l'Union européenne par rapport aux États-Unis dans le conflit. En effet, le chancelier Scholz a prévenu qu'il n'enverrait ses Leopard que si Washington en faisait autant avec ses chars Abrams, ce que les États-Unis ont précisément exclu, pour des raisons techniques. L'Europe est-elle en train de prendre conscience qu'elle ne peut courir le risque d'être en première ligne en alimentant un conflit qui peut très vite prendre d'autres dimensions tout en ayant sacrifié ses propres moyens de défense ? Cette affaire des chars est une pierre d'achoppement bienvenue, peut-être une heure de vérité.

Et le cas de la France est encore plus parlant. Là encore, la lucidité semble progresser chez nos dirigeants. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a reconnu, mercredi, que devait primer dans le choix de livrer ou non nos chars Leclerc le principe suivant : « Ne pas affaiblir notre système de défense. » En effet, la France, aujourd'hui, ne dispose plus que de 220 chars Leclerc opérationnels et n'en fabrique plus depuis 2008. Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans l'armement, a clairement circonscrit l'enjeu dans une déclaration à franceinfo : « Envoyer une douzaine de Leclerc entamerait la crédibilité de la composante blindée française. En envoyer une cinquantaine la sacrifierait. »
Georges Michel, il y a déjà huit mois, ne disait pas autre chose quand il s'agissait des canons CAESAr. Mais, dans le cas des chars Leclerc, notre faiblesse nous met hors du jeu et pourrait paradoxalement nous permettre de jouer une partition plus indépendante.

Car ce sont bien les chars Leopard allemands que convoite Kiev, bien plus nombreux, non seulement en Allemagne, mais aussi dans les pays européens, notamment la Pologne, où elle les a abondamment commercialisés. Et un feu vert de l'Allemagne vaudrait aussi pour ces pays, ce qui ferait incontestablement changer le conflit de dimension. L'enjeu est de taille; et le refus ou la temporisation de l'Allemagne sont tout à son honneur. Vendredi soir, après l'échec de la réunion des ministres de la Défense sur ce sujet, le président ukrainien a réitéré sa demande. Pour lui, il n'y a « pas d'autre solution ».

Ce vendredi, à Ramstein, la lucidité était encore de mise du côté américain puisque le chef d'état-major Mark Milley déclarait : « D’un point de vue militaire, je maintiens encore qu’il sera très difficile d’expulser les forces russes de toutes les zones d’Ukraine occupées [...] Cela ne veut pas dire que cela ne peut pas arriver. Mais cela sera très très difficile. » Des Américains qui entretiennent le doute sur la Crimée comme objectif de guerre puisque, selon le New York Times, ils se montreraient désormais favorables à une offensive ukrainienne sur la péninsule redevenue russe depuis 2014. Nouveau signe inquiétant d'un risque d'élargissement du conflit, alors que la retenue allemande au sujet de la livraison des chars lourds pourrait laisser entrevoir une autre dynamique.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 23/01/2023 à 7:46.
Frédéric Sirgant
Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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