Après quelques jours de suspense haletant, le Boeing C-40C de l'US Air Force qui transportait Nancy Pelosi s’est finalement posé, mardi 2 juillet à 16 h 45 (heure de Paris), sur le tarmac de l’aéroport de Taipei. Attendue par certains, crainte par beaucoup, la visite surprise de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis à Taïwan s’inscrit pourtant dans la continuité de la politique étrangère américaine. Après le « pivot vers l’Asie » opéré par Barack Obama dans les années 2010, Taïwan est redevenu un élément stratégique majeur pour les États-Unis qui, dans leur volonté d’encercler la Chine, se sont fortement rapprochés de Tsai Ing-wen, la présidente taïwanaise.

Mais à un moment de l’Histoire où le contexte géopolitique international est notoirement crispé, que dit la venue de Nancy Pelosi sur le sol d’un territoire que la Chine considère comme sien ? La puissance américaine continuera-t-elle d’agir corps et âme pour maintenir sa position de « gendarme du monde » ou bien acceptera-t-elle l’émergence du « monde multipolaire » promptement souhaité par la Chine et la Russie ?

Chine contre États-Unis : le choc des titans ?

En 2012, Xi Jinping se hisse à la tête de la République populaire de Chine. Son accession au pouvoir se joue sur la promesse de mettre un terme à la corruption ambiante qui mine, à l’époque, le Parti communiste chinois (PCC). Mais Xi Jinping profite de son statut pour mettre la main sur toutes les instances régaliennes du pays et développe un puissant culte de la personnalité et s’investit corps et âme pour accroître la puissance de la Chine. Dix ans plus tard, les résultats sont impressionnants. L’empire du Milieu est devenu la première puissance économique mondiale, l’ordre social y est maintenu d’une main de fer et les capacités militaires du pays ont triplé. Face à cette irrémédiable montée en puissance, l’hégémonie américaine se voit plus contestée que jamais, ce qui incite les États-Unis à la réaction.

De cette confrontation géopolitique, Taïwan semble être le centre de gravité, faisant planer au-dessus d’elle le risque d’un nouveau conflit mondial. En témoigne l'agitation militaire de Pékin qui a mobilisé de nombreuses unités militaires au sein des villes côtières les plus proches de Taïwan. Nous avons interrogé un sinologue expert en géopolitique chinoise et chercheur à l’IRIS qui a accepté de s’exprimer (mais préfère conserver l’anonymat pour des questions de sécurité) : « Cette agitation chinoise, après la visite de Pelosi, permet au pouvoir chinois de tester les Américains », affirme-t-il, avant d’ajouter : « Ce prétexte permet au Parti communiste de montrer ses armements : blindés, navires, avions de chasse… et de tester son propre nationalisme alors que le grand congrès du PCC arrivera à l’automne. »

Si la diplomatie chinoise accuse les États-Unis de « trahir tous les engagements faits envers la Chine » en envoyant Pelosi à Taïwan, notre expert exprime son désaccord. « Officiellement, Nancy Pelosi ne fait pas parti du gouvernement américain. Il existe depuis toujours une relation singulière entre les États-Unis et Taïwan. Au regard du droit international, aucune ligne rouge n’est franchie. »

Ces dernières semaines ont vu les gouvernements russe et chinois réaffirmer leur rapprochement. Les deux pays militent activement sur la scène internationale pour l’instauration d’un ordre multipolaire au sein duquel la place prépondérante des États-Unis s’effacerait. Notre chercheur y voit là un « grand jeu de Pékin qui, derrière ses critiques de l’unilatéralisme américain, cherche à réunir derrière elle tous les pays peu démocratiques afin d’expulser les États-Unis du podium des puissances mondiales ».

Taïwan : épicentre du prochain conflit mondial ?

Si la Chine montre les dents face à son concurrent américain, c’est aussi parce qu’elle en a les moyens. Le renforcement militaire opéré par l’armée chinoise ces dix dernières années est impressionnant : mise à l’eau de trois porte-avions militaires, tests de missiles hypersoniques dernier cri, projets de fabrication de plusieurs sous-marins nucléaires ; les capacités tactiques chinoises ont de quoi faire trembler l’Occident. Mais l’hypothèse d’un vaste conflit mondial autour de Taïwan est-il réaliste ?

Pour Jean-Baptiste Giraud, auteur de l’ouvrage Dernière crise avant l’apocalypse (Ring), la réponse n’est pas évidente. « Voir la Chine intervenir militairement pour récupérer Taïwan ne me paraît pas du tout aberrant », nous répond-il. « Nous sommes déjà dans une forme de 3e conflit mondial depuis l’invasion russe en Ukraine, un 3e conflit mondial qui ne dit pas son nom, mais qui oppose des grandes puissances entre elles. » Quant à savoir si les États-Unis seraient prêts à entrer en guerre contre la Chine pour défendre Taïwan, là, rien n’est moins sûr. Jean-Baptiste Giraud explique : « Taïwan est un petit territoire de 28 millions d’habitants qui ne dispose pas d’armes nucléaires tactiques. J’ai beaucoup de mal à concevoir que l’Amérique envoie des hommes sur place ni ne fasse usage d’armes atomiques. » Avant d’ajouter : « La guerre a changé. Aujourd’hui, il est difficile de mener à bien une guerre lorsque cette dernière n’a pas de sens réel pour ceux qui la mènent. Nous l’avons vu avec la débandade américaine en Afghanistan, nous le voyons avec l’armée russe qui piétine en Ukraine. Quel sens aurait, pour les Américains et leurs soldats, de démarrer une Troisième Guerre mondiale pour Taïwan ? »

Alors, États-Unis-Chine, guerre ou pas guerre ? La première option semble peu envisageable, ne serait-ce qu’en regardant les intrications économiques qui lient les deux pays, un conflit militaire ne pourrait que mettre leurs économies nationales à genoux. Mais, de façon évidente, il apparaît que l’hégémonisme américain est aujourd’hui beaucoup plus contesté qu’hier et les prochaines années diront si c’est un monde uni ou bien multipolaire qui se profilera sur la scène internationale.

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03 août 2022 à 19:12

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Un commentaire

  1. Sans doute des gesticulations sans suites qui auront permis aux deux belligérants de montrer leurs muscles. Taiwan ne devrait pas craindre pour son indépendance dans un avenir proche, mais un jour, peut-être elle sera contrainte de rejoindre le continent.

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