J'ai bien conscience de la fragilité et de la fraîcheur de ces instants graves et dignes qui, depuis le 14 mai, nous "clouent" devant notre télévision. Une solennité non empesée dont nous avions la nostalgie.

Il y a quelque chose d'étrange et de nouveau sous le ciel démocratique français.

Comme une stupéfaction civique d'avoir su collectivement franchir le pas si considérable d'élire un Président qui n'a même pas encore quarante ans. Et peut-être, demain, d'accorder au pouvoir une majorité confortable en ne cédant pas à cette tentation française d'avoir deux fers au feu : celui de l’Élysée et celui du Parlement. C'est un état qui, entre indifférence et absence de liesse populaire, relève d'une sorte d'étonnement admiratif, comme si on n'osait pas encore y croire tout à fait mais qu'on espérait, pour une fois, ne pas être déçu.

Il est clair, pour reprendre l'expression de Philippe Labro, que ce Président "a tout simplement la grâce" et qu'il a beaucoup réfléchi sur les quinquennats précédents. En faisant preuve d'une capacité inouïe pour rectifier le tir, tirant les leçons du soir du premier tour, sachant placer son épouse dans la lumière quand l'officiel l'exigeait et dans la discrétion lorsque le pouvoir était seul concerné.

Brigitte-macron-vuitton

La passation du pouvoir, le 14 mai, a été remarquable et à l'évidence, outre les gestes politiques, la démarche d'Emmanuel Macron a fait surgir une esthétique, une allure dont on sentait en creux, dans leur caractère appliqué et méthodique, qu'elles représentaient la volonté de nous faire passer dans une nouvelle ère pour l'apparence de l'État et de celui qui en a la charge. Nous ne serions pas obligés de nous féliciter de ce qui, en République, devrait être la normalité si nous n'avions pas connu et enduré, dans la forme, avec Nicolas Sarkozy, un quinquennat vulgaire et, avec François Hollande, un quinquennat bavard et trop louis-philippard pour ce qu'il prétendait avoir de majesté.

Ce n'est pas rien que cette métamorphose qui, pour se rapporter à la superficialité, a déjà frappé un grand nombre d'esprits. La manière professionnelle et nette dont le secrétaire général de l'Élysée effectue les annonces n'est pas non plus sans incidence sur cette impression des premiers jours : un quinquennat élégant est en marche.

Je ne suis pas naïf et mesure ce qu'il y a de tactique dans la configuration de ce paysage faussement chaotique, vraiment porteur d'avenir, qui sait ?

La composition du gouvernement est non seulement habile mais cohérente. Certes, il y a plus de quinze ministres, mais ce n'est pas un reniement gravissime à trois présences près (BFM TV). Compte, en revanche, ce mélange de "poids lourds politiques" et de personnalités ayant été incontestables dans leur vie professionnelle et respectées pour leur compétence. Leur présence ne relève pas du gadget ni d'un "coup" mais d'un dessein mûri et réalisé sur une large échelle. Cette nouveauté me semble plus importante que la parité scrupuleusement respectée. Auront-elles sur leur administration l'autorité qui convient ? Il n'y aucune raison de présumer que leur caractère et leur savoir ne sauront pas relever ce défi.

En plaisantant à peine, les citoyens éprouvent enfin cette délicieuse modestie qui les conduit à admettre qu'ils n'auraient pas pu être ministres à leur place et à les créditer d'une supériorité technique ou politique. Un sentiment auquel, depuis des années, on n'était plus habitué.

Enfin, les reproches qu'on entend sur le caractère politicien, flou, ambigu de ces débuts présidentiels et gouvernementaux - le 17 mai, un auditeur le déplorait sur Sud Radio - me paraissent injustes. Car ce qui se déroule est la traduction éclatante de ce qui a été proclamé par Emmanuel Macron et est le cœur de son projet : le dépassement de la droite et de la gauche ou leur union dans une même entreprise. Quand du nouveau et du surprenant se produisent, ils échappent à la suspicion de la routine partisane puisqu'ils ont été annoncés. Le flou, alors, n'est plus du flou mais de la transparence.

http://www.philippebilger.com/blog/2017/05/pourvu-que-%C3%A7a-doure-.html

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20 mai 2017 à 17:13

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