Lycéens dans la rue : leur inquiétude, c’est le plafonnement des indemnités prud’homales

Pas de recul, la tête dans le guidon… ou plutôt le nez dans la manif.

C’est la nouvelle mode du reportage, photos et commentaires en continu, tweets en non-stop. Rien dans le cerveau, tout dans les doigts. Comme dit la nouvelle pub (Carrefour, je crois, entendue jeudi matin sur RTL) : "Si à 12 ans t’as pas ton smartphone et ta perche à selfies, t’as raté ta vie !" "Ah, mais c’est pour rigoler !" dit le pubeux. Quoique…

Donc, mardi, jour de manif, les reporters de Libé étaient dans la foule, balançant en continu leurs photos et bla-bla. L’analyse politique et sociétale en trente messages de soixante signes. Pas trop fatigant pour les neurones, ce job.

Kim Hullot-Guiot nous offre ainsi la photo d’un beau brun au teint mat, un adolescent de 17 ans nommé Rabi, qu’elle présente comme président du SGL, le Syndicat général des lycéens. Rabi Bakkali est, en fait, le délégué national aux droits lycéens, mais qu’importe.

Créé en 2009 par des dissidents de l’UNL (Union nationale des lycéens), nous dit sa fiche Wikipédia, ce syndicat a pour objectifs "de défendre les droits des lycéens, de revendiquer un lycée plus juste, plus égalitaire, plus humain et de militer pour l'égalité". Il "s'engage autour de différents sujets tels que la lutte contre les discriminations, l'amélioration de la démocratie lycéenne ou encore l'orientation active des jeunes". Voilà voilà, du tout beau tout bon, on dirait qu’on s’aimerait tous et qu’on serait tous égaux et l’on ne voit pas qui pourrait être contre.

Et ce cher Rabbi, sur qui se penche Kim Hullot-Guiot, journaliste de Libé chargée de l’Éducation, porte sur ses frêles épaules les angoisses de ses condisciples : "Ce qui nous inquiète surtout, dit-il, c'est le plafonnement des indemnités prudhomales".

À 17 ans, rendez-vous compte ! Pauvre garçon, comme on le plaint.

À l’âge où d’autres songent au bac, à la fac, à la prépa qu’ils voudraient intégrer, à la copine qu’ils ont laissée au bord de la piscine, Rabi Bakkali s’inquiète des indemnités prud’homales. C’est-à-dire de celles qu’il pourrait ne pas toucher un jour.

On se pince. Ils sont, d’ailleurs, beaucoup à se pincer sur les réseaux, et les réponses dénotent, dans l’ensemble, une ironie et un bon sens qui défrisent Mme Hullot-Guiot.
– "17 ans, inquiet du plafonnement des indemnités prudhomales... On va le retrouver dans la rue inquiet de ne pouvoir sécuriser sa retraite..."
– "Il a pas encore de boulot et il parle d'indemnités... Quelle ambition !"
– "Avoir cette mentalité à 17 ans... ça en dit long sur l'ambition de ce jeune homme."
Etc.

Je pense, moi, qu’il a au contraire beaucoup d’ambition, mais pas celle qu’on imagine. Je ne crois pas que Rabi Bakkali s’imagine être un jour au chômage, encore moins devant les prud’hommes. Non, je crois qu’il rêve d’une carrière d’apparatchik à l’instar de toutes les figures du PS – les Dray, Désir, Cambadélis, Julliard et compagnie –, passés directement des syndicats étudiants et des manifs lycéennes aux antichambres du pouvoir. Au pire, il s’imagine une planque dans la fonction publique, une place au chaud à la mairie de Paris, attaché de cabinet chez les Insoumis, employé au tri postal comme Besancenot. À l’extrême limite, délégué syndical CGT ou SUD à la SNCF ou à l’EDF, sa tête à la télé tous les soirs au "20 Heures". Mais, d’une façon ou d’une autre, « salarié protégé ». Car c’est bien là le sens de sa démarche, non ?

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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