Lutte contre les « fake news » : le risque d’un « ministère de la Vérité » orwellien

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On le sait depuis le 29 septembre : à quelque mois de l'élection présidentielle, Emmanuel Macron a donc décidé de créer une commission composée de 14 experts (sociologues, historiens, politologues, professeurs, journalistes) chargés de réfléchir à « la diffusion des théories complotistes et la propagation de fake news sur Internet ». En un mot, il s'agit, comme l'explique Gérald Bronner, sociologue chargé de diriger les travaux, de « muscler les cerveaux des Français » en leur donnant des outils pour, en matière d'information, apprendre à discerner le « vrai » du « faux ». Un vaste chantier qui nous renvoie à cette question essentielle : qui va contrôler et quoi ? Et quid de la liberté d'expression ?

La multiplication des « fake news » est une réalité : sur le Net, c'est un peu comme à la Foir'Fouille : on trouve de tout ! Et les Français s'y précipitent : pour les plus jeunes d'entre eux, les réseaux sociaux sont devenus la première source d'information. Une majorité des Français ne croient plus leurs « médias mainstream » : selon une étude de l'IFOP, 67 % d'entre eux n'ont plus confiance. Les derniers événements comme l'épidémie de Covid-19 et l'arrivée des nouveaux vaccins avec son cortège d'hésitations et de revirements gouvernementaux ont favorisé les doutes et le besoin d'aller s'informer ailleurs. S'ajoute à cela le pouvoir énorme de censure des GAFAM sur les réseaux sociaux qui produit l'effet inverse et entretient, dans l'esprit des individus, la pensée qu'« on nous cache quelque chose ».

Faut-il, pour autant, mettre en place des comités chargés d'organiser la régulation des informations sous la coupe d'un gouvernement au risque d'installer un « ministère de la Vérité » orwellien ? D'autant que ce même pouvoir n'est pas tout à fait exemplaire en la matière...

Délit de « fake news » ? « Que celui qui n'a jamais péché... »

En effet, contrairement à une idée largement répandue, le délit de « fake news » n'est pas l'apanage d'une catégorie bien identifiée de la population. Christophe Castaner en sait quelque chose, lui qui a été pris la main dans le sac, le 1er mai 2019, jour d'une manifestation des gilets jaunes. Selon lui, « des gens ont attaqué un hôpital » (la Pitié-Salpêtrière) et les « forces de l’ordre sont immédiatement intervenues pour sauver le service de réanimation ». Information démentie le lendemain, mais trop tard : Agnès Buzyn, à l'époque, est elle aussi tombée dans le piège. En novembre 2018, autre manifestation des gilets jaunes, sur les Champs-Élysées, cette fois : plusieurs comptes Twitter comme Team Macron pensent avoir déniché un scoop en dévoilant l'image d'un manifestant effectuant un salut nazi. Il s'agissait, en réalité, d'un « Avé Macron » des plus innocents... Que justice soit rendue.

Gabriel Attal, lors de manifestations étudiantes à Vénissieux, en décembre 2018, révèle la violence inouïe de ces jeunes qui ont « jeté à terre et recouvert d'essence un proviseur et un CPE ». Information démentie par le proviseur en question. Tous ces ratés (liste non exhaustive) ont un mérite : celui de donner la mesure de l'ampleur de la tâche.

Un pétard mouillé, une erreur de casting et un gadget électoral !

Emmanuel Macron n'en est pourtant pas à son coup d'essai dans sa lutte contre les « fake news ». La loi donne des pouvoirs énormes aux GAFAM qui contrôlent les contenus des réseaux sociaux. Les fameux fact checkers désignés que sont Libération, Le Monde, France Info et d'autres traquent aussi les erreurs, les manipulations... ou les avis trop tranchés. Tout ceux qui ont un compte sur les réseaux sociaux peuvent s'en rendre compte : exprimer un avis critique sur des sujets chauds comme les vaccins ou le réchauffement climatique expose à un risque de blocage et de suppression de contenu. YouTube, pour sa part, a tranché et supprimé certains comptes « anti-vax » !

Si la législation française est bien pourvue en matière de lutte contre les fausses informations (article 27 de la loi de 1881 sur la diffusion de fausses nouvelles, article 322-14 du Code pénal, article L97 du Code électoral), ce n'est pas suffisant pour Emmanuel Macron. Victime de fausses rumeurs lui-même lors de sa campagne de 2017 (révélation d'un prétendu compte aux Bahamas attribuée à la Russie), il en fait une affaire personnelle.

En novembre 2018, il fait voter une loi « contre la manipulation de l'information » en période électorale qui accorde le pouvoir exorbitant au juge des référés de supprimer un contenu sous 48 heures. Les juristes hurlent à la violation de la liberté d'expression. En réalité, le pétard est mouillé : le verrouillage judicaire ne fonctionnera qu'une fois pendant la campagne des européennes, pour se solder par un échec. D'ailleurs, lorsque les deux facétieux élus communistes, Marie-Pierre Vieu et Pierre Ouzoulias, portent le tweet de Christophe Castaner au sujet de la prétendue attaque de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à la connaissance du juge, ils sont rapidement déboutés. Cocasse.

Un vrai enjeu électoral

De quoi, sans doute, donner à Emmanuel Macron l'envie d'y retourner. La crise Covid qui « favorise la propagation des fake news » lui en donne l'occasion. C'est Sibeth Ndiaye, celle qui assumait pourtant « parfaitement de mentir pour protéger le Président », qui s'y colle.  En avril 2020, elle annonce la mise en place d'un site gouvernemental dédié où chacun pourra trouver des « informations sûres et vérifiées » donnant accès aux articles de médias français « luttant, dans le cadre de la crise sanitaire, contre la désinformation ». Sans surprise, Libération, France Info, 20 Minutes, Le Monde et l'AFP sont adoubés. Les autres se révoltent logiquement. L'affaire fait pschitt et le projet est abandonné.

La mise en place de cette nouvelle commission, version automne 2021, démarre par une erreur de casting. Le professeur Guy Vallancien, médecin urologue membre de la commission, est accusé de« gestion calamiteuse du centre de don des corps de 2004 à 2014 » et mis en cause par la lanceuse d'alerte Irène Frachon. Il démissionne avant de commencer.

Cette volonté d'assainir l'information cache un véritable enjeu électoral. La lutte contre les « fake news » est une arme électorale redoutable qui peut servir à disqualifier à peu de frais l'adversaire. Elle a déjà fait ses preuves, la commission Bronner lui donnera un nouveau souffle. Reste à espérer que cet énième comité Théodule ne coûte pas un bras au contribuable !

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Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

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