[Livre] Un hommage au rôle pionnier des médecins militaires

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Cet article vous avait peut-être échappé. Nous vous proposons de le lire ou de le relire.
Cet article a été publié le 24/02/2023.

L'été : l'occasion pour beaucoup de se plonger enfin dans ce livre dévoré des yeux toute l'année sans pour autant avoir eu le temps de s'y plonger. À cette occasion, BV vous propose une sélection de ses meilleures recensions. Aujourd'hui, Allons médecins de la patrie… ce que la médecine civile doit à la médecine militaire, d'Élisabeth Segard.

Les médecins libéraux, après les médecins hospitaliers, ont défilé, ces jours derniers, dans la rue. Mais il est un autre pan de la médecine que l’on a silencieusement détricoté, ces quarante dernières années, alors qu’il avait participé au rayonnement scientifique et humanitaire de la France, forçant l’admiration des autres pays : le service de santé des armées, fondé par Louis XIV en 1708. 

Dans les années 90, pas moins de cinq hôpitaux militaires ont été fermés : Lille, Lyon, Dijon, Strasbourg, Toulouse.  En 2011, la célèbre école de Santé navale, à Bordeaux - dont sortait notamment Marc Laycuras, tombé au Mali 2019 -, a mis la clé sous la porte. En 2016 a suivi l’emblématique Val-de-Grâce, où Alban Gervaise avait formé à la « FAST-écho » de nombreux jeunes médecins. Les fameux dividendes de la paix, la fin de la conscription et surtout la logique budgétaire déjà vue à l'œuvre pour la médecine civile ont essoré les service de santé des armées. Et pourtant. 

Dans son livre Allons médecins de la patrie… ce que la médecine civile doit à la médecine militaire, la journaliste Élisabeth Segard rend justice et hommage à ces médecins militaires. En le refermant, on serait tenté d'inverser la question : que ne doit pas la médecine civile à la médecine militaire ? Leur nom ressemble à un oxymore - le médecin soigne, le militaire blesse -, mais en embrassant cette profession, ils servent doublement leur pays, en tant que médecins et en tant que militaires : « Les membres du service de santé des armées ont sauvé au fil des siècles autant de civils que de soldats (parfois bien plus) ; la médecine chemine par paliers et c’est, hélas, souvent la guerre qui la fait progresser. Ces avancées, pourtant, restent largement ignorées », écrit l’auteur dans son avant-propos.

On connaît la boutade célèbre, que l’on prête à Clemenceau : « La médecine militaire est à la médecine ce que la musique militaire est à la musique. » Peut-être parce que sur le terrain, dans l’urgence, le danger et l’inconfort, on pratique plus souvent la chirurgie façon clairon et grosse caisse que violoncelle et flûte traversière. Pour le reste évidemment, les études et les diplômes sont les mêmes. Mais surtout les situations extrêmes, le manque de moyens sur le terrain, l’horreur vécue par les soldats dans leur chair ont forcé à faire assaut d’ingéniosité et de créativité. Parce qu’elle n’a jamais eu le temps d’attendre, la médecine militaire a fait faire à la médecine « tout court » d’immenses progrès.

Greffes, prothèses, ambulances, garrots, pansements, évacuations sanitaires, anesthésie et asepsie - en particulier de ce que l’on n’appelait pas encore les blocs opératoires - naissent non loin des champs de bataille. La chirurgie maxillo-faciale (avec les gueules cassées), la kinésithérapie, la rééducation, la transfusion aussi.

Mais en amont des batailles apparaissent aussi la prophylaxie, l’hygiène et la veille épidémiologique. De façon générale, la médecine préventive, la médecine du travail comme le suivi agro-alimentaire y trouvent leur source. C'est logique : « Le corps étant l’outil des soldats, les médecins cherchent à le préserver. Et ce, avant qu’ils soient blessés » et « les navires, ces boîtes flottantes, peuvent se transformer en bombe à épidémie ». Qui sait encore que Parmentier, le « découvreur » de la pomme de terre, était un pharmacien militaire ? Et que le bouillon-cube ou encore l’auto-injecteur d’insuline ont aussi germé dans le cerveau d'un médecin militaire ? Ils ont été également pionniers contre la typhoïde, la peste, la lèpre, la variole, le paludisme - c’est grâce à sa découverte du parasite qui en est la cause que le médecin militaire Alphonse Laveran a été le premier Français à recevoir le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1907 -, le choléra, la tuberculose, la maladie du sommeil, la fièvre jaune et, plus récemment, le SIDA, Ebola et la vache folle. Leur rôle est également crucial dans la découverte de la quinine et même de la pénicilline ! Les pompiers, le SMUR et la médecine de catastrophe leur doivent également beaucoup. La Santé militaire a posé les fondements d’une Santé publique enviée - jusqu'à il y a peu - dans le monde entier. 

« Y a-t-il au monde plus petite équipe d'hommes ayant rendu plus de services à l'humanité souffrante ? Y a-t-il au monde œuvre plus désintéressée, plus obscure, ayant obtenu de si éclatants résultats et qui soit pourtant ignorée, aussi peu glorifiée, aussi peu récompensée ? Qui peut prétendre avoir fait mieux, où, quand et comment ? » disait le professeur Maurice Payet, premier doyen de la Faculté de médecine et de pharmacie de Dakar.

Bien sûr, ce serait faire offense aux vaillants médecins militaires d’aujourd’hui que de prétendre que leur profession est exsangue alors qu’ils sont présents sur tous les théâtres d’opération au risque de leur vie, comme l’a montré Marc Laycuras, et toujours à la pointe de la recherche médicale. L’auteur évoque notamment l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), organisme unique créé en 2009 pour regrouper tous les services de recherche et que l’auteur qualifie de « cluster d’innovations ». Et au-delà des médecins, des dentistes, des infirmiers et des aides-soignants, il y a également les pharmaciens : « Dotée d’un laboratoire de recherche, de services de contrôle et de chaînes de production », la « pharmacie centrale est l’un des seuls établissements à produire les contre-mesures médicales des risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques », mais, explique l’auteur, « l’arrivée de l’armée professionnelle a réduit son champ d’activité aux spécifiques des soldats et aux stocks stratégiques ».

Mais comme les hôpitaux et la médecine généraliste de ville, le Service de santé des armées, tout fait de devoir et d’abnégation, la médecine militaire « peine, selon l'auteur, à recruter ». Déjà réduit comme peau de chagrin, il n’a plus qu’à prier ou croiser les doigts pour ne pas être oublié dans les projections militaires ambitieuses promises par notre gouvernement et espérer que ce beau livre suscite des vocations. 

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/08/2023 à 11:20.
Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

16 commentaires

  1. On pourrait évoquer aussi la chirurgie réparatrice, plastique et esthétique, née de la réparation des Gueules Cassées de la première guerre mondiale.

  2. « Dans les années 90, pas moins de cinq hôpitaux militaires ont été fermés : Lille, Lyon, Dijon, Strasbourg, Toulouse. » Et l’HIA Dominique Larrey à Versailles…

  3. Et pour la recherche, ne pas oublier le centre de Recherche du Service de Santé des Armées, le CRESSA de Grenoble la Tronche. Ce centre est extraordinaire et peu connu.

  4. « Leur rôle est également crucial dans la découverte de la quinine et même de la pénicilline  »
    Voilà pourquoi,  » l’on a silencieusement détricoté un autre pan de la médecine « , celui de la médecine militiatre.
    Vous vous rendez compte que c’est à cause d’elle que l’on a des traitements contre la covidémence.
    Heureusement que les services mondiaux ont fit en sorte de les interdire, en disant qu’ils étaient dangereux et inefficaces!
    Sinon, les infectés auraient été guéris dans leur grande majorité et les labos n’auraient pas fait des dollars avec leurs injections.
    C’aurait été une horreur : cassons la médecine militaire! (ironie triste)

  5. Merci Madame, c’est tellement vrai. Lorsque l’on a été, durant trois décennies, entre leurs mains, on sait ce qu’ils sont capables de faire!

  6. Personnellement, au cours de ma formation à la chirurgie, j’ai beaucoup appris d’un chirurgien militaire à l’hôpital Robert Piqué de Bordeaux, qui m’accueillait dans son service pour me montrer les rudiments d’une chirurgie non pratiquée au CHU, cet apprentissage me servit beaucoup au cours de missions, en particulier en temps de conflits, où la chirurgie de guerre n’a que peu de rapports avec la chirurgie programmée.

  7. La guerre a apporté beaucoup à la chirurgie, les blessures infligées ressemblent à celles des accidents de la route et beaucoup de chirurgiens sont confrontés également à l’impossible.
    La médecine militaire ne comportait pas autrefois de spécialités féminines , de nos jours elle s’ouvre davantage à la gynécologie même si l’obstétrique reste parente pauvre.
    Malheureusement la politique actuelle depuis plusieurs années est dirigée par le profit et la médecine comme la chirurgie ne devrait pas rentrer dns la catégorie des objectifs rentables. Nous en pâtissons tous .

  8. J’ai exercé à l’hôpital militaire de Dijon, hôpital Hyacinthe Vincent. Votre article a éveillé en moi des souvenirs inoubliables. Merci.

  9. N’est-ce pas plutôt « la justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique », la boutade de Clémenceau ?

  10. Chère Gabrielle, vous avez oublié de citer François Maillot qui comme Alphonse Laveran repose au cimetière du Montparnasse à Paris. Maillot a ouvert à Laveran la voie du traitement du paludisme. En 1832, Maillot est envoyé en Algérie, où cette maladie décime les troupes. Dès 1834, il fait appliquer aux soldats de l’armée d’Afrique un nouveau traitement, à base de sulfate de quinine. (l’ancêtre de la chloroquine) Les résultats sont immédiats. Maillot a donne son nom à de quelques hôpitaux, celui d’Alger notamment jusqu’en 1962. Il est vrai que la liste des médecins qui ont consacré leurs vies aux armées est longue et que l’on pourrait citer un très grand nombre de biographies exceptionnelles, comme celle Alexandre Abd-El-Nour né le 29 octobre 1869 à Damas (Empire ottoman) issu d’une vieille famille chrétienne de cette ville et mort le 23 janvier 1956 à Bazeilles (Ardennes), médecin militaire et homme politique français. Tout cela est passionnant. Merci d’avoir eu cette pensée pour de grands serviteurs de la France.

  11. La France ignore, mais tout le Vietnam connait et honore le Dr Yersin, médecin militaire qui a isolé le bacille de la peste (et accessoirement rendu l’alcool de riz pas plus nocif que les autres)…. En Afrique, dans les petits villages, on vous dit encore que c’était mieux « du temps des Francais »…Il y avait des dispensaires équipés et des tournées de brousse par des médecins militaires….
    Mais c’était avant!

    • Je confirme vos propos, il en est de même en Inde, la France dans ses cinq comptoirs a laissé globalement une excellente réputation et de soins aux population également, (Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Mahé et Yanon.)

  12. Madame,
    Vous ne pouvez pas imaginer un instant ce que je ressens aujourd’hui à la lecture de votre article, à la vue du fronton de mon école, plus connue chez les Bordelais par son nom SANTÉ NAVALE.
    J’imagine un instant que vous serez seule aujourd’hui à parler de ce livre.

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