Livre : Dernières Nouvelles de l’homme (et de la femme aussi), Fabrice Hadjadj
La philosophie peut tout analyser, même le langage dont elle se sert pour travailler et exposer le fruit de son travail. Il faut surtout, pour parvenir à transmettre, la volonté bienveillante de faire comprendre à d’autre ce que l’on aurait compris. Et, bien sûr, partager avec son audience un langage commun. Fabrice Hadjadj, dans son livre, use d’un langage simple et direct, compréhensible de tous, et loin des cuistreries arrogantes de certains. Et il use de l’humour.
Il serait absurde de prétendre résumer, synthétiser ou commenter les nonante (l’auteur réside en Suisse) courtes dissertations écrites entre septembre 2015 et juillet 2017. Ses sujets d’observation sont très divers et sa méthode procède d’un genre de pointillisme : il pose des tâches de couleur sur sa toile, apparemment sans rapports entre elles, et l’ensemble en devient cohérent.
Fabrice Hadjadj exécute ainsi le relativisme en quelques mots, en rappelant que le dialogue suppose l’égale dignité/valeur des interlocuteurs, mais pas celle de leurs opinions que devrait départager la seule raison. Mais il y a les postures de ceux qui refusent d’entrer dans le dialogue, et il y a aussi les exceptions de l’émerveillement et du commandement. Que l’auteur se serve d’un caniche nain et d’un coup de pied au cul n’affaiblit en rien son propos.
Autre exemple : il part d’une réflexion architecturale et esthétique sur l’immeuble du Chicago Board of Trade surmonté d’une statue de la déesse Cérès pour établir la vertu initiale du marché des dérivés agricoles, marchés à terme et options qui permettent à des producteurs soumis à des aléas (climats, maladies : l’agriculture n’est pas un long fleuve tranquille) de lisser leurs revenus. Puis constater que des spéculateurs ont perverti un système désormais dérégulé en le coupant du monde réel : 3 % des contrats à terme donnent lieu à livraison effective. Ou, pour 97 % des quintaux de blé qui sont virtuels, leur offre et leur demande ne sont liées qu’à l’appétit de lucre des financiers, pas celui des clients des boulangers qui en feront du pain.
Plus brièvement :
Sur l’accélération du changement qui se constate dans tous les aspects de nos vies dites modernes, Fabrice Hadjadj dénonce une sorte d’impasse du progrès qui ne sait, dès lors, que transmettre de l’obsolète, dont les fondations sont sapées dès l’origine. Jusqu’à un effondrement futur...
Face à la « dispersion digitale », la méditation serait, dans les cénacles de certaines GAFAM, une réponse permettant de restaurer la « pleine conscience ». C’est négliger que la méditation, simple technique de restauration d’une tranquillité intérieure, ne tourne pas vers l’autre, qu’il soit transcendant ou un autre nous-même.
Du constat que de trop nombreux dirigeants politiques, en Europe, n’ont pas engendré d’enfants découle la question de leur implication charnelle dans le monde futur qu’ils façonnent (un peu plus que le simple citoyen).
Et, enfin, il y a ce portrait d’un balayeur de rue, Michel Simonet, économiste, théologien et chantre byzantin, qui nous invite à réévaluer et délaisser les ambitions à la mode dans notre société pour aller à la rencontre des personnes que nous croisons.
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