Liberté d’expression : sans sombrer dans la moraline

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Paradoxe de notre temps : à l’apogée de l’ordre libéral-libertaire, au moment où la liberté d’entreprendre, celle d’expédier, celle de transférer, celle de migrer, celle de s’informer et celle de (re)produire sont les plus prégnantes, seule la liberté d’expression reste la plus entravée.

Dernier fait en date, en France : les fermetures, coup sur coup, depuis le mois de juin, des comptes YouTube, Twitter et Facebook de l’humoriste Dieudonné et du polémiste Alain Bonnet – dit Soral –, fermetures qui sont les conséquences logiques de leurs propos antisémites et négationnistes. Rappelons les multiples condamnations de Soral pour, entre autres, « incitation à la haine raciale » en 2015 et 2017, puis le tout se concluant par une condamnation à un an de prison ferme en avril 2019, et le placement en garde à vue, le 29 juillet dernier, pour « provocation publique non suivie d’effet à la commission d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation »dixit le parquet de Paris. Même si n’est pas Voltaire qui veut, la stratégie de la victimisation du soi-disant intellectuel banni continuera pourtant de produire ses effets chez les rudes sympathisants de sa ligne idéologique.
Et d’ailleurs, peut-on durablement affaiblir, voire annihiler, la viralité d’une idée, quelle qu’elle soit, en la censurant ? Le camp du progrès lui-même n’est pas dupe, à l’image de l’article de Samuel Laurent, pour le quotidien Le Monde, intitulé « Chassée de Twitter, l’extrême droite en ligne migre vers des réseaux sociaux alternatifs », publié le 21 juillet

En effet, en dépit de l’invalidation par le Conseil constitutionnel de la proposition de loi censée lutter contre la haine en ligne (dite « loi Avia »), le 18 juin, ce sont d’abord les plates-formes numériques qui font leurs propres lois. En l’occurrence, dans le pays du « deux poids deux mesures », comment oublier le cas de la députée Emmanuelle Ménard, dont le compte Twitter avait été subitement bloqué, en juillet 2019 ? Du reste, si une organisation politique est muselée, rien n’empêchera celle-ci de changer de nom et de se téléporter sur une autre partie de l’indéfinie Toile.

Par ailleurs, que valent des propos politiques, aussi nauséabonds soient-ils, par rapport à des vidéos montrant des émeutes urbaines, voire des décapitations ? Ainsi, l’ordre algorithmique ne peut pas être un véritable ordre juridique, les images valant bien plus pour lui que les idées.

Néanmoins, cela relève du bon sens de condamner tout appel au meurtre, notamment de masse. En l’espèce, ce n’est plus de l’idéologie mais de la folie. Ou, du moins, c’est sortir du champ politique pour entrer dans le champ martial. En somme, il convient de s’en tenir à la ligne de conduite qu’avait fixée le Lumière allemand Emmanuel Kant : « Laissez parler votre adversaire, quand il ne le fait qu’au nom de la raison, et ne le combattez qu’avec les armes de la raison. »

En bref, des arguments contre des injures, voire des opinions contre des bombes ! La France se grandirait donc en ne sombrant pas dans la moraline, et davantage en régénérant l’art de la dialectique, celui transmis naguère par la philosophie antique. Sinon, il ne sert à rien de dire qu’on est Charlie !

Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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