L’église Saint-Séraphin-de-Sarov, à Paris, est partie en fumée

Église_Saint-Séraphin-de-Sarov_(Paris)_-_3

C'est une lourde porte, semblable à toutes les portes haussmanniennes de la rue Lecourbe. Dehors, la vie suit son cours, avec ses bobos pressés, ses magasins, ses voitures et ses feux rouges. Mais si vous poussez cette porte, vous découvrirez un monde. C'est d'abord une cour pavée, quelques bâtiments bas dont l'aspect intrigue : fenêtres étranges, lattes de bois. Puis, au milieu d'un jardin luxuriant, miraculeusement préservé, c'est une maison, bien française celle-ci, dans le goût du XIXe ; par la fenêtre ouverte s'échappent, sans égards pour la modernité, des bouffées de musique classique et les échos d'une radio russe.

Et puis il y avait l'église. Un petit vaisseau de bois, bas de plafond, avec son dôme bleu, en forme de bulbe comme il sied ; un petit bâtiment pour abriter le « petit troupeau » sur lequel le Seigneur, à tout jamais, a posé Sa main. Des tapis couvrant complètement le sol, des icônes dorées partout en haut des murs, alignées comme une famille d'ancêtres encourageants, des chaises pour les fidèles et, au, fond, dans le chœur, le lieu mystérieux où le prêtre procède au saint sacrifice. Cà et là, des chandeliers, qui laissent deviner qu'une étendue de petites flammes doit être allumée pour les grands jours.

C'est justement l'une de ces flammes qui a, semble-t-il, intégralement consumé l'intérieur de l'église Saint-Séraphin-de-Sarov, lieu symbolique et historique de la communauté orthodoxe russe à Paris. Cela s'est passé le dimanche des Rameaux pour nos frères, dimanche de Pâques pour nous. Au vu du contexte de russophobie stupide qui a la faveur des Français, on ne peut pas ne pas avoir pensé à la piste criminelle, mais elle semble désormais écartée. On n'a toutefois pas osé nous parler, comme pour Notre-Dame, d'une clope dans la charpente.

La communauté russe orthodoxe de France a trouvé sur notre sol, depuis que le communisme a renversé l'empire, une forme de réconfort. Oh, bien sûr, on ne les a pas accueillis à bras ouverts. Il y avait les emprunts qui nous restaient en travers de la gorge, et puis ils parlaient bizarrement. Les débuts furent difficiles : on dit que les grands-ducs étaient chauffeurs de taxi à Paris, dans les années 20. Un Vladimir Volkoff, au début du Montage, a pu raconter l'ambiance si particulière de cette diaspora, pleine à la fois de solidarité, de tragique et cependant d'un sens aigu de la hiérarchie sociale. Parmi les lieux investis par la communauté des « Russes blancs », il y avait le XVe arrondissement, jadis populaire. Plusieurs opposants y furent enlevés par le NKVD au début du régime communiste. C'était avant qu'on protège les personnalités, me direz-vous. En 1933, les dons des émigrés permirent d'acheter le 91, rue Lecourbe, et d'y bâtir l'église. Reconstruite dans les années 70, Saint-Séraphin est un monument d'histoire et un témoin du passé.

La Russie d'autrefois amène avec elle tout un peuple de clichés folkloriques et de noms baroques : samovars, vodka, champagne à flots dans le jardin d'hiver, traîneaux à grelots, princesses à joues roses emmitouflées dans des peaux de loup, fringants officiers du Préobrajensky valsant à perdre haleine avec des duchesses de dix-sept ans, chansons déchirantes accompagnées à la balalaïka ou à l'accordéon, forêts de bouleaux sans fin, nuits blanches sur les ponts de Pétrograd et chevauchées sauvages jusque chez les Bouriates... Du côté religieux, messes qui durent des heures, encens, velours, dorures, carêmes d'excessifs, popes aux barbes prophétiques et à la stature de colosse, fêtes aux noms impossibles (« Octave de la Dormition de saint Trophime le Désossé », « Vigile de saint Stéphanophore le Porphyrogénète », ou quelque chose du même style)... et, donc, des églises de bois, fragiles, démontables presque (même si l'église qui nous intéresse enserrait deux troncs de cèdres, dont l'un vivant), qui rappellent le caractère éphémère de tout édifice humain.

On ne doute pas que Saint-Séraphin sera rebâtie ; la question est « comment ». On suppose que l'incendie d'un édifice religieux appartenant à une religion plus revendicative aurait fait les gros titres, et même quelques dégâts dans le mobilier urbain. Mais chez les orthodoxes, on a sa fierté ; il n'y aura ni marche blanche, ni voitures qui brûlent, ni concours d'architectes pour rebâtir une flèche moderne.

Parmi les réformes communistes auxquelles les émigrés ont échappé, il y eut celle de l'orthographe. En 1918, les bolcheviks supprimèrent de l'alphabet cyrillique quatre lettres, dites réactionnaires, parce que compliquées à apprendre et donc « signantes » socialement. L'une de ces lettres était le « iat », qui se prononçait presque comme un « e », qui pouvait donc sembler inutile, mais que le tsar Nicolas Ier considérait, selon la légende, comme une façon de distinguer les gens bien élevés des ignorants. On pourrait dire exactement la même chose du silence pudique de la communauté orthodoxe: c'est un malheur qui ressemble à s'y méprendre à un fait divers. Seule la digne réaction des paroissiens permet de distinguer les croyants des militants.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

28 commentaires

  1. Ces églises orthodoxes sont des joyaux par leurs icônes et leur disparition serait une perte irréparable pour la culture Européenne et Orientale. Même le Communisme les a respectées lorsqu’il en faisait des entrepôts. Un anti-Poutinisme stupide ne justifierait rien.

  2. Cet incendie n’est pas plus accidentel que les autres. D’ailleurs je crois que le clergé orthodoxe refuse l’idée d’un cierge qui aurait mis le feu. Quand cessera-t-on de nier l’évidence ?

    • A supposer que ce soit un cierge, le feu ne peut prendre que s’il est activé par du papier ou autre, à partir de là il est intentionnel. La cire qui coule des cierges se fige tout de suite elle ne peut incendier, alors un cierge qui se ballade seul pour mettre le feu … ce n’est pas plus crédible que le mégot de ND, mais les deux ont eu lieu pour Pâques.
      Les chrétiens sont visés.

  3. J’ai honte d’être français. L’honneur et la dignité d’un pays, ce serait justement de laisser totalement préservés les éléments de culture présents sur son sol du pays avec lequel il est en conflit. Et ce d’autant plus, que dans ce cas, nos cultures sont voisines. Dans cette période de tension, je trouve que les civils et les autorités russes se conduisent mieux en Russie que les nôtres en France. Il est vrai que vandaliser des lieux de culte est une longue tradition en Macronie ex-France.

  4. Nos bonnes pensées aux orthodoxes …et nous leurs souhaitons de bonnes fêtes de Pâques malgré Ce bien triste incendie .

  5. Je connaissais bien cette petite église puisque j’y ai assisté à une messe d’enterrement et au baptême de ma petite fille Maya
    .C’était un bijou et son pope un homme sage , à l’écoute des autres .
    J’ai donc pleuré en apprenant cette nouvelle ..
    . Je suis très étonnée que la piste criminelle soit écartée … Je vais donner pour que cette merveilleuse petite église soit reconstruite .

  6. La flamme d’une bougie semble innocente en temps habituels mais le jour de Pâques c’est tout de même suspect d’autant que s’ajoute la guerre à Poutine.
    Retirez moi un doute, l’arbre inséré dans l’église est il un cèdre ou un érable, selon divers articles ? Et est il sain et sauf ? Je me souviens qu’il avait un tronc énorme mais si c’est un cèdre, donc un résineux, n’aurait il pas contribué à la mise à feu !

  7. On ne peut que rattacher cet « accident » à celui survenu à Notre Dame tant il tombe bien à une période où tout ce qui est russe est diabolisé. Non seulement le lieu était pavé d’Histoire mais les icônes anciennes sur les murs avaient une valeur inestimable. On ne parle jamais des lieux régulièrement attaqués et vandalisés dont les chrétiens sont victimes tant c’est monnaie courante , il ne se passe pas de jours sans un vol ou une profanation mais surtout pas de vagues et silence radio.

    • vous savez bien que notre dame c’était un court circuit allons, pourquoi toujours chercher la malveillance!!!!!!!!!!!!

  8. Monsieur Florac, je salue ici une fois de plus le talent de votre écriture et l’élégance culturelle qui enlumine toujours autant la plupart de vos articles.
    Un vrai plaisir de vous lire ! Merci !

  9. Article magnifique monsieur Florac qui résume bien ce que beaucoup ressentent. Orthodoxes, catholiques, protestants, nous espérons des paroles de Jésus Christ.

Commentaires fermés.

Pour ne rien rater

Revivez le Grand oral des candidats de droite

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois