L’échec des réformes : la faute au mode de scrutin ?

assemblée nationale

La France est inréformable... Depuis quarante ans, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, s'échinent, s'épuisent et, parfois, s'effondrent sur des réformes aussi emblématiques que celles de l'indemnisation du chômage, du système des retraites ou du statut des fonctionnaires. À chaque fois, on nous ressert les mêmes explications : la pusillanimité du personnel politique, le corporatisme des syndicats, l'inertie des corps intermédiaires, les exigences de Bruxelles, les fractures sociales et sociétales, autant de maux (à chacun les siens) qui déconstruisent la société et font de la France un pays patchwork.

Ces questions comme leurs réponses relèvent de la politique, mais de la politique, on n'en fait plus ! Pendant des siècles, sous tous les cieux, sur tous les continents, le pouvoir recueillait avis et opinions, puis tranchait... dans « l'intérêt général ».

Aujourd'hui, on ne décide plus mais on cause. La politique est devenue un vaste forum où l'on débat sans fin pour raccommoder des intérêts particuliers radicalement opposés. Travaux d'Hercule pour petits commis... de l’État ! Travaux de Sisyphe pour syndicalistes ignorants !

La politique s'éteint à petit feu parce que le débat se consume dans des palabres enflammés. En se livrant aux réseaux sociaux, aux tables rondes des chaînes d'info, la politique a oublié les cénacles où les opinions les plus extrêmes pouvaient se confronter car elles se soumettaient à une règle du jeu. Ces cénacles existent, ce sont nos assemblées parlementaires.

Mais, ce n'est pas devant elles qu'Édouard Philippe a présenté sa réforme des retraites ; il a préféré le faire devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), une assemblée de gens cooptés, une assemblée de copains et parfois de coquins.

L'outrage à la démocratie est flagrant ; personne ne l'a relevé, comme personne ne s'étonne que le Parlement ne débatte pas, déjà et surtout, de cette « réforme » qui déchire le pays.

L'explication est pourtant simple : la Chambre des députés n'a pas droit au chapitre parce que le chapitre ne la reconnaît pas ! Cette assemblée, en principe la plus démocratique de nos institutions, n'est pas représentative. Faut-il rappeler que le pouvoir législatif dont on nous vante les mérites ne procède du peuple qu'à travers le filtre d'un mode de scrutin. Ces modes varient d'un pays à un autre et fournissent des résultats très différents. Le succès de Boris Johnson à la Chambre des communes tient moins à son programme qu'au scrutin uninominal à un tour. Le doigt des élections cache la nature technique du scrutin, souvent un modeste article dans un texte constitutionnel, mais aux conséquences énormes. En l'oubliant, on risque de ne rien comprendre au panorama apparemment contrasté des parlements de l'Italie, de l'Espagne comme de l'Allemagne, pays où pourtant les mouvements d'opinion et l'évolution des partis suivent des courbes très voisines.

Du scrutin uninominal à deux tours procède, en France, tout un personnel politique qui s'accroche depuis des décennies à ses basques et en défend l'intangibilité. Droit acquis ou privilège, le mode de scrutin, en France, devient le flambeau des conservateurs de tout poil ! Motion de censure, connaît plus ! Dissolution, non plus ! Au prétexte que sans majorité parlementaire, on ne peut gouverner, on a laissé s'installer, sans autre contrôle que des élections quinquennales, un pouvoir de gestionnaires et de techniciens. On a surtout sapé l'équilibre des pouvoirs, en privant le Parlement de son rôle essentiel : la confrontation pour la confection de la norme. On a installé, enfin, des Parlements « croupions » sans idée, sans ténor, sans attractivité.

Il est temps de se poser la question du mode de scrutin dont la réponse ne passe pas uniquement par une dose (ou pas) de proportionnelle.

Jean-Paul Charbonneau
Jean-Paul Charbonneau
Historien, conférencier. castellologue, écrivain, diplômé de Sciences-Po, Assas-Panthéon, master d'histoire à l'Université de La Rochelle

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