[LE GÉNIE FRANÇAIS] Olivier de Serres, le père de l’agriculture moderne
On ne compte pas les rues, les places, les écoles qui portent le nom d’Olivier de Serres. Et pourtant, combien de Français savent véritablement qui est ce génie ? Cet Ardéchois (né à Villeneuve-de-Berg en 1539 et mort en 1619 dans cette même cité du Vivarais) fut d’abord un agriculteur extraordinaire, un écrivain talentueux, un poète amusant, un philosophe plein de bon sens et surtout le premier à avoir une approche scientifique de l’agriculture ; autrement dit, le premier agronome de l’Histoire. (De fait, le mot n’existait pas encore.)
À la tête des travailleurs dans les campagnes
Propriétaire terrien, il semble, par sa culture générale et ses connaissances étendues, destiné à des fonctions publiques. Olivier de Serres juge pourtant qu’il a mieux à faire à la tête des travailleurs dans les campagnes et « plus de solide gloire à acquérir que [s’il vivait] à la cour ».
Il est le premier depuis l’Antiquité à envisager la science agricole en se plaçant à la fois du côté théoricien et du côté praticien. Il a ainsi la chance d’être écouté, d’autant qu’il vit sous le règne d'Henri IV, lui-même passionné d’agriculture.
Un livre chef-d’œuvre
Avec plus de 1.000 pages, le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs sera le chef-d’œuvre de l’agronome et, pour les siècles à venir, la bible des agriculteurs. L’ancien mot « mesnage » avait le sens d’économie. Il donnera les termes « ménagère » (femme chargée de l’économie domestique) et l’anglais « manager » (pour chef d’entreprise).
Olivier de Serres s’inspire de son expérience personnelle de l’agriculture et de la gestion de son domaine ainsi que des auteurs anciens, qu’il cite souvent.
Il y analyse les différentes activités agronomiques, depuis la description, l’organisation et les dépenses du domaine par le propriétaire : labourage, vigne, bétail, poulailler, jardinage, irrigation et autres usages de l’eau et du bois, conservation des aliments, etc. Il pense déjà au compostage des matières organiques.
Chaque partie est enrichie de conseils fondamentaux que doit suivre le « bon père de famille » : avoir assez de savoir et de pratique, respecter les lois de la nature et de l’humanité, « ainsi, il aura du blé dans son grenier pour la prospérité des siens, de son domaine et de ses affaires ». L’auteur est par exemple le premier, avant Parmentier, à faire la promotion de la culture de la pomme de terre, alors qu’elle a très mauvaise réputation, accusée d'être insipide et même de transmettre de graves maladies.
Livre de chevet d'Henri IV
Le roi se fait lire un chapitre de l’ouvrage tous les soirs. Il apprécie ses préceptes concis dans un style clair et savoureux, qui révèlent la connaissance et l’amour de l'auteur pour la terre, les animaux et les plantes. Ce best-seller, ou plus exactement long-seller, sera réédité de nombreuses fois, et encore récemment, en 2019, pour marquer les 400 ans de la mort de l’agronome français : cette dernière édition fit l’objet d’une actualisation par le chercheur Dominique Vidal.
Grandeur et misère
« Je veux qu’il n’y ait si pauvre paysan en mon royaume qu’il n’ait tous les dimanches sa poule au pot », décrète le roi Henri. Malgré le redressement économique du pays et les efforts du pouvoir, les petits paysans sont écrasés d’impôts, à cause d’interminables guerres. Son talentueux ministre des Finances, Sully, ne ménage pas ses efforts pour protéger les agriculteurs. Mais cela ne peut se faire en un jour. Pour la première fois de l’Histoire, notre pays a une politique économique cohérente et globale. Richelieu puis Colbert suivront cet exemple. Sous Louis XIV, la France sera en effet la première puissance économique du monde. Et l’économie est d’abord agricole.
Avec la révolution industrielle et les machines, l’agriculture va prendre un nouvel essor et mettre en application les inventions d’Olivier de Serres, qui se propagent progressivement dans toute la France rurale. Encore en 2018, l'agriculture française est primée pour la troisième année consécutive « modèle le plus durable du monde » par le magazine britannique The Economist.
De la révolution industrielle au déclin
Le paysan du XXIe siècle doit maîtriser les doubles compétences de l’artisan et du cadre – technicien, comptable, gestionnaire, administrateur et juriste – malgré un faible revenu.
Pourtant, l’agriculture française actuelle est sur le déclin. Elle subit une érosion lente et inexorable. Les exportations baissent, les importations explosent. Nous avions deux millions d’agriculteurs, il y a vingt ans ; ils sont 400.000, aujourd’hui.
La France, devenue un « département européen » gouverné par Bruxelles, se trouve coincée entre la mondialisation et des règles écologiques draconiennes. Elle est passée du 2e au 5e rang des exportateurs mondiaux. Elle a perdu deux millions d'exploitations en 50 ans. Seuls résistent les grands exploitants. Les petits disparaissent, souvent de la façon tragique que l’on sait.
Rien ne se fera sans le courage de nos élites et gouvernants. Ah, s’ils pouvaient penser à nos nobles paysans chaque fois qu’ils se retrouvent entre eux autour d’un bon dîner ! Ne leur doit-on pas aussi une grande part de l’excellente gastronomie française ?
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11 commentaires
« la pomme de terre, alors qu’elle a très mauvaise réputation, accusée d’être insipide et même de transmettre de graves maladies. » Surtout, seule culture dont les fruits murissent sous terre, elle était à ce titre considérée comme l’oeuvre du diable, à ne consommer sous aucun prétexte par chaque personne soucieuse de sa vertu.
Et alors, quid des asperges et des endives?
Et des patates douces, des carottes, des navets, des oignons, des betteraves, des radis, des topinambours, et j’en oublie sans doute!
Oui, une histoire peu connue. Merci.
Je gage que ce grand homme n’imaginait pas que la terre nourricière qu’il aimait puisse être un jour empoisonnée par les industriels de l’agrochimie, c’est-à-dire par les pesticides et leur utilisation à outrance ! Hier soir, j’ai fortement apprécié le film « Goliath », diffusé sur France 2, qui relate le combat inégal de paysans victimes des produits toxiques, utilisés pour le « rendement » de leurs cultures, et les puissants géants de l’agrochimie… Ceux-ci n’hésitant pas à user de tous les moyens possibles pour corrompre les élus de Bruxelles, prêts à ouvrir les yeux sur les réalités de la nuisance des pesticides ! Bien plus qu’une fiction, ce film de F. Tellier, avec un Pierre Niney excellent de noirceur, expose une réalité qui nous concerne tous. Car, après les agriculteurs, directement concernés par les maladies induites par ces poisons, c’est la santé de l’ensemble de la population qui s’en trouve impactée ! Je lis nombre de critiques, très agressives, à l’encontre des écologistes mais jamais un mot de reproche sur ces marchands, Monsanto, Bayer, etc, qui nous empoisonnent tous ! Je souhaiterais davantage d’objectivité car ce sont bien parmi les écologistes que se trouve les défenseurs de la Nature et d’un retour à une alimentation plus saine. Les paysans en seraient les premiers bénéficiaires !
» car ce sont bien parmi les écologistes que se trouve les défenseurs de la Nature et d’un retour à une alimentation plus saine. » C’est votre opinion et je la respecte, mais permettez-moi de ne pas la partager. Les agissements de vos escrologistes les rangent davantage avec les trotskistes révolutionnaires que parmi les alliés des cultivateurs.
Merci monsieur de Quelen pour ce rappel historique que j’avoue n’avoir jamais appris, mais qui m’a vivement intéressé.
» la France modèle agricole le plus durable au monde » : sale coup pour les écolos ! « Labourage et paturâge sont les 2 mamelles de la France » répétait Sully , nous faisant comprendre l’utilité de la complémentarité , la symbiose entre les espèces . Parce qu’enfin vous en connaissez beaucoup des animaux (polygastriques et ruminants ) qui sont capables de se nourrir de la seule source d’énergie entièrement renouvelable grâce à la photosynthèse ? Rôts et pets de ces animaux ne sont que bien faibles pertes de rendements en comparaison de la masse de fourrages transformés et de tous les produits qu’ils nous fournissent . Le précurseur Olivier de Serres mérite bien les honneurs qui lui sont dus.
Merci pour ce beau rappel. Je me permets d’ajouter que Serres et Henri de Navarre (qui lisait Serres tous les jours) furent deux occitans issus de la terre du Sud. Serres a dit » L’ART est un recueil de l’expérience, et l’EXPÉRIENCE est le jugement et usage de la RAISON. » Macron et Barnier allo ? Henri fut de loin le meilleur roi de France : il ramena la paix civile et la paix aux frontières, et la prospérité économique… Tiens c’est donc possible ? Oui avec l’usage de la RAISON…Allo !
Merci mr de Quelen pour ce rappel historique qui me donnera de me coucher plus instruit! Par plaisir personnel (familial) si vous aviez rajouté que le successeur du « Grand Colbert » était Claude Le Peletier, j’aurai été encore plus joyeux.
De grands hommes ont façonné et enrichi notre terre de France, il en est un aujourd’hui qui l’a détruit il s’appelle Macron ne l’oublions pas.