La nouvelle guerre froide est déclarée

11 novembre 2018 2018-11-14 à 19.20.39

Le 11 novembre 2018, le jeune président de la République française Emmanuel Macron fête le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. Une mise en scène extravagante : 70 chefs d’État sont transportés en autocars pour l’écouter au pied de l’Arc de Triomphe, des lycéens aux origines multiples lisent des lettres et un chant togolais est offert.

Après quoi, notre Trudeau européen prononce un discours qui cible essentiellement le nationalisme. Il pense être prêt à assumer la position dominante du nouveau monde libre. En bon disciple de Jacques Attali (conseiller des princes en France depuis 1981), Macron utilise la caution multiculturaliste et pacifiste pour mieux vendre le projet de gouvernement mondial. Cette commémoration se révèle être la fête de la révision des faits : la France n’aurait donc pas gagné, à elle seule, la Grande Guerre, les Américains auraient sauvé les poilus, et les nationalistes, de droite comme de gauche, auraient tout perdu. Il vante le multilatéralisme pour donner la part belle aux pays du tiers-monde. Le roi du Maroc Mohammed VI et de nombreux leaders africains ont de quoi se réjouir, Vladimir Poutine et Donald Trump beaucoup moins. Pas de doute, voilà bien une déclaration de guerre idéologique : une nouvelle guerre froide pour un nouvel ordre mondial. Le multilatéralisme impose ainsi de nouveaux face-à-face.

Ce nouvel ordre avait longtemps cherché son idole. Ce fut d’abord Bill Clinton, puis Barack Obama. Le premier avait dirigé les États-Unis de 1993 à 2001 et le second de 2009 à 2017. Seulement, la mondialisation économico-financière ayant totalement brouillé les rapports de force géopolitiques, le politique s’est effacé peu à peu au profit des lobbies, que ceux-ci soient financiers, culturels ou numériques. Des micro-sociétés à peine cachées commandent à présent aux États et à leurs dirigeants. Des leaders de la Silicon Valley à George Soros (Open Society Foundations) en passant par les monarques des pétromonarchies, il n’y a qu’un pas.

Mais le renforcement de la suprématie politique de Poutine en Russie (notamment depuis 2008), le vote référendaire en faveur du Brexit (23 juin 2016) et l’élection de Trump (8 novembre 2016) ont bouleversé la donne mondialiste. Le sursaut de l’ordre judéo-chrétien s’est réalisé, mais dans un élan désespéré. Par conséquent, Macron a de quoi se présenter comme le principal commandant en chef d’un nouvel ordre spectaculaire. Car, en temps de paix perpétuelle ou de marché mondial, il n’y a pas de guerre si ce n’est celle des valeurs. Les humanistes face aux nationalistes, ou encore les technocrates face aux démocrates.

Comme un symbole, nos lycéens défilent devant la tombe du Soldat inconnu et s’accrochent à l’épaule du petit Président : l’homme minimal et supérieur à la fois, un enfant parmi des enfants. Grandeur et décadence. Macron n’a cure de l’incohérence intellectuelle : en substance, le nationalisme ne serait pas du patriotisme. Les soldats coincés dans les tranchées auraient eu certainement le temps de faire la différence. On peut tout dire quand on se moque de la vérité. Le relativisme culturel accouche de la relativité des convictions. Macron se soucie comme d’une guigne des structures ancestrales ou anthropologiques, voire intégralement chamaniques. À l’ère de l’angoisse, on se soucie plus de soi que des morts. "L’humanité se compose de plus de morts que de vivants", avait pourtant écrit le sociologue Auguste Comte. Les vivants d’aujourd’hui s’arrogent le droit de manquer de respect aux morts par besoin de hanter les survivants.

La planète des humanistes face à la France des humanités, le sociétal face au social, le culturel face au civilisationnel, l’économie face à la politique, les data face aux identités, le martyr face au héros, les populations africaines face aux empires eurasiens, le monde face aux nations : autant de raisons de penser que la nouvelle guerre du présent et de l’avenir est celle de l’ordre islamo-libertaire face à l’ordre judéo-chrétien. Une guerre des valeurs avant d’être celle des territoires. Une guerre de tranchées.

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Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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