La nouvelle fabrique d’orphelins

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Dans Les Champs d’honneur, qui évoque l’histoire d’une famille pendant la Grande Guerre, Jean Rouaud décrit une scène émouvante : le père, lors d’une permission, découvre son fils, né pendant son absence. Le soldat caresse les poings de l’enfant. Le monde, autour des deux époux, se profile dans une étrange distance. Le père repart au front où il meurt, laissant derrière lui un orphelin.

Les Champs d’honneur ont obtenu le prix Goncourt en 1990. Depuis Le Feu, de Barbusse, la liste est longue des romans de guerre tout comme celle des « Morts pour la France » sur les places de nos villages. Chaque année, la litanie de pierre des « Morts pour la France » est rougie du sang des glaïeuls. Chaque année, le Président rallume la flamme du Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe. Première Guerre : un million et demi de morts, 600.000 veuves de poilus, 986.000 orphelins. Et voici que, cent ans après la fin de la Grande Guerre, l’impensable se dessine : la production légale d’enfants orphelins.

Les causes de l’orphelinat sont répertoriées : elles sont dues à la nature (quand votre mère, cas rare de nos jours, perd la vie en vous la donnant), à la guerre avec ses nouvelles formes (le terrorisme), à l’abandon (sous X )... Dans tous les cas, être orphelin est un traumatisme : les témoignages ne manquent pas. Un cas d’orphelinat, dû au nazisme, est particulièrement émouvant : un Juif qui ne sait ce qu’est devenue sa mère, victime de la rafle du Vel' d’Hiv', quand il était tout enfant, croit, toute sa vie, la voir et la reconnaître, de manière obsessionnelle, dans un bus, un square, un lieu public.

Les enfants nés par PMA vivent la même obsession : les témoignages sont de plus en plus nombreux. Certes, on dira que la situation d’orphelin est « un tremplin d’une immense énergie compensatoire » et que les orphelins règnent sur le monde. Baudelaire, Sartre, Gavroche, Genêt, Rousseau : les exemples ne manquent pas. Aux causes classiques de l’orphelinat, faudra-t-il bientôt ajouter « orphelin pour cause de droits reproductifs ?

Qui est mon père ? Cette question, un futur orphelin sera en droit de la poser à chacun d’entre nous. Lui répondrons-nous : « Ton père ? Inconnu au bataillon. Les CECOS te diront quand tu auras 18 ans. » Certes, avec les orphelins à naître par PMA et GPA, on aura matière à nouveaux romans. Un Notre-Dame-des-Fleurs, cru 2040, obtiendra le prix Goncourt. Et nous dirons en chœur, avec le jury qui aura couronné le livre, une coupe de champagne à la main : « Plus jamais ça. »

On parle déjà, dans l’Hexagone, de pénurie de sperme. Bientôt, le rationnement avec les listes d’attente et les quotas. Bientôt le marché noir de l’or blanc.

Il est regrettable que l’entrée de Maurice Genevoix, auteur de Ceux de 14, au Panthéon ait été repoussée à 2020, afin de « l’adosser au centenaire de l’inhumation du Soldat inconnu ». Il eût été difficile, en effet, de passer sous silence, cette année, le sort des orphelins passés et à naître.

Marie-Hélène Verdier
Marie-Hélène Verdier
Agrégée de Lettres Classiques

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