[Entretien] « La justice ne garantit plus la sécurité »

illu Jacques Bompard

Jacques Bompard est un infatigable anticonformiste : maire de la ville d’Orange entre 1995 et 2021, il est député à deux reprises (1986-1988 et 2012-2017) et conseiller régional et départemental. C’est, aux côtés de Jean-Marie Le Pen, l’un des fondateurs du Front national, parti qu’il quitte en 2005 pour fonder L’Esprit public, puis la Ligue du Sud en 2010. Aux dernières élections législatives, il rejoint Reconquête.  Frappé d’inéligibilité par une décision judiciaire qui le condamne pour « prise illégale d’intérêts », Jacques Bompard a été contraint d’abandonner sa mairie avant la fin de son cinquième mandat. Aujourd’hui, il publie Le Gouvernement des juges, aux Éditions Godefroy de Bouillon. Rencontre.

Sabine de Villeroché. Est-ce parce que vous avez fait l'objet d'une condamnation judiciaire que vous poussez ce cri de colère contre la justice française ?

Jacques Bompard. Non, la première raison de ce livre est le combat politique. Je suis un combattant politique depuis 64 ans, dont 35 en tant qu’élu. Aujourd’hui, même sans mandat électif, je continue le combat avec toujours autant d’énergie.

S. d. V. Quel est l’enjeu de ce combat ?

J. B. Dans une société qui est régentée, asservie et avilie par un pouvoir qui dispose de tous les moyens d’intoxication intellectuelle, le facteur qui me paraît le plus essentiel à rebâtir pour un retour à la normale, c’est la justice. Il m’est donc apparu comme évident qu’une critique positive de l’institution judiciaire actuelle était un préalable nécessaire pour rendre plus efficace un combat politique refondateur dont la France a un urgent besoin. Alors oui, j’évoque ma condamnation. Mais cela représente à peine cinq pages du livre, sur plus de 250. Et si je l’évoque, c’est parce qu’elle illustre parfaitement la thèse de ce livre, à savoir qu’il y a de multiples problèmes avec la justice de notre pays.

S. d. V. Que s’est-il passé, concrètement, à Orange ?

J. B. J’ai été jugé pour une banale erreur de forme. Ce qui m’est reproché ? D’avoir signé un compte rendu de séance qui a omis de préciser que j’étais sorti lors d’une délibération. Or, j’étais bel et bien sorti. La presse en a même témoigné. La secrétaire administrative qui a rédigé le procès-verbal a admis s’être trompée. Et pourtant, j’ai été condamné.

Cette affaire est un exemple, parmi beaucoup d’autres, de la politisation d’une certaine justice. Vous savez, le système politico-financier qui détruit la France a besoin d’une justice servile. Une justice qui cherche à paralyser les forces de réaction qui se multiplient face au résultat dramatique pour la France qu’entraîne cette destruction systématique de notre civilisation et de notre peuple. De structure de défense de la sécurité publique, dont la règle « le bon vouloir de l’Homme comme credo » est aux antipodes de la recherche du Bien commun.

Donc, le problème, c’est qu’aujourd’hui, la justice est la cause de ce qu’elle devrait au contraire combattre. Elle ne garantit plus la sécurité. Or, sans sécurité, plus aucune liberté n’existe. C’est pourquoi la liberté disparaît progressivement. C’est contre cela que je me bats.

S. d. V. Dans votre ouvrage, vous dressez un réquisitoire contre ce « gouvernement des juges ». Vous avez des mots très durs, vous évoquez des collusions, des ententes, des copinages et surtout beaucoup d’idéologie… La situation est-elle dramatique à ce point ?

J. B. Oui, la situation est dramatique. Mais pas depuis hier… et c’est cette tolérance envers un fonctionnement intolérable qui est fondamentalement politique et insupportable. Notre justice nous apparaît de plus en plus folle, hystérique, égarée, sans âme. Elle désespère ses praticiens les plus sérieux, car il y en a. Elle est agitée par les groupes de pression « philosophiques » les plus pernicieux et les plus extrémistes qui sont parvenus à inverser totalement le rôle de l’institution judiciaire. La justice a normalement un devoir de protection des « honnêtes gens ». Or, aujourd’hui, elle ne se soucie que des intérêts du criminel, de son confort, de sa réinsertion, de son avenir. Celui qui subit le dol est méprisé, oublié, réduit à néant. Les forces de l’ordre sont systématiquement suspectées. Le devoir de protection par l’exercice de la juste force de la loi est oublié.

Le contre-pouvoir issu de la tradition et des héritages millénaires n’existe plus. Pour les juges, il n’y a pas de sanction quand il y a faute. Il n’y a pas de sanction quand un criminel est libéré et qu’il récidive. Et c’est la même chose pour les tenants du système.

S. d. V. Quelles sont, à votre avis, les mesures à mettre en œuvre pour restaurer la justice en France ?

J. B. Béatrice Brugère, secrétaire générale d’un syndicat de magistrats, a déclaré, il y a quelques semaines, qu’un « système discrédité, archaïque et obsolète, à force d’être retouché, ressemble davantage à un patchwork qu’à une toile de maître ». Je pense comme elle que notre justice a besoin d’une refondation du sol au plafond ! Les réformes ponctuelles sont au mieux inefficaces, au pire contre-productives. Sans un assainissement, une libération et une responsabilisation du monde judiciaire, le retour du bon sens et de toute normalité ne sera pas réalisable. Restaurer la justice passe par l’arrêt indispensable du total non-contrôle des décisions judiciaires, quelles qu’elles soient. Certes, passer d’un juge qui se prend pour Dieu à un juge qui serait un homme, ou une femme, responsable devant la société n’est pas chose facile. Mais c’est indispensable. Et qui dit contrôle dit, évidemment, sanction en cas de dérive.

Prenons un exemple : 75 % des Français sont contre le Grand Remplacement. Les juges ne devraient pas pouvoir mépriser cette volonté populaire ni aller à son encontre car, normalement, la justice est rendue au nom du peuple.

Pour retrouver l’essence de ce principe, je ne vois que deux solutions : soit les décisions de justice doivent être rendues par le peuple, ce qui signifie qu’il faut renforcer la place des jurys populaires dans notre procédure judiciaire, alors que les réformes successives ont au contraire choisi de les écarter de plus en plus ; soit les juges doivent être responsables devant le peuple. Des juges élus, cela existe aux États-Unis. Ce n’est pas parfait, mais c’est mieux que rien.

Responsabilité, cohérence, respect du Bien commun, la même justice pour tous, la modestie dans l’exercice, la reconnaissance que l’Homme n’a pas tous les droits, la reconnaissance que les droits n’existent que par l’exercice des devoirs. Tels sont, à mon avis, les principes sur lesquels il faut fonder la reconstruction de la justice.

S. d. V. Si on devait tirer le bilan de vos mandats électifs, diriez-vous avoir atteint les objectifs que vous vous étiez fixés, ceux qu’attendaient de vous les électeurs ?

J. B. Les électeurs attendent que leurs élus se battent pour ce à quoi ils se sont engagés en tant que candidats. Or, à ce jour, les partis politiques ont systématiquement trahi leurs électeurs et cela est une des causes fondamentales de la destruction de la France.

Pour ma part, en tant qu’élu, j’ai mené tous les combats sur lesquels je m’étais engagé et j’ai dénoncé toutes les trahisons de ceux qui oublient du jour au lendemain leurs promesses. Au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, de 1986 à 1991, j’ai fait partie de l’exécutif, dans la majorité de Jean-Claude Gaudin. Nous avions pris un accord de gestion : ne pas augmenter la fiscalité. Et c’est ce qui a été fait. En tant que maire d’Orange, là aussi, tout s’est bien passé : retour aux équilibres financiers en six mois, alors qu’ils n’étaient pas respectés depuis dix ans ; suppression de l’endettement ; diminution de la fiscalité ; rétablissement de la sécurité ; rénovation de la ville… Tous mes engagements ont été tenus. Je pense que si vous regardez ce qui s’est passé dans des villes de taille similaire à Orange, le respect des engagements est un peu une exception. En tant que député, seul au combat, je suis monté au créneau sur tous les dossiers de société en les défendant comme ils ne l’ont plus été depuis. Et en tant que conseiller départemental, même chose. Nos interventions contre le non-contrôle des allocations sociales ont agité le conseil avec le flot habituel d’insultes. Puis, quelques années plus tard, le conseil a constaté le bien fondé de nos observations…

S. d. V. À l'Assemblée nationale, vous avez été un fervent défenseur de la vie. Être catholique, porter un discours contre l’avortement dans l’Hémicycle, et diriger une ville, c’est encore possible, aujourd’hui ?

J. B. Lutter contre l’avortement ne relève pas des douze travaux d’Hercule, encore aujourd’hui. Mais il faut le faire avec intelligence et charité. Et, d’abord, dans des rencontres où l’on peut prendre le temps de l’argumentation et où l’explication peut être entendue et comprise. Tout est possible, encore aujourd’hui. Mais il faut du courage, de l’abnégation, un amour de ses concitoyens en lieu et place du mépris traditionnel du monde politique pour le peuple.

Les problèmes de société ne sont pas à éviter car ils sont fondamentaux. Mais il faut savoir que les évoquer déclenche toutes les attaques insensées du prêt-à-penser, avec tous les inconvénients que cela entraîne.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 26/06/2023 à 13:53.
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Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Vos commentaires

17 commentaires

  1. Lire ou relire « L’archipel du Goulag » de l’immense Soljénitsyne. Il y décrit la complaisance, voire la complicité dont bénéficiaient les désignés « socialement proches » (délinquants et criminels) par l’administration pénitentiaire soviétique. On y trouve cette idée du délinquant victime d’une société soviétique dont la construction socialiste en cours d’achèvement laisse encore de nombreuses inégalités dont sont victimes délinquants et criminels. En conséquence de quoi il faut être indulgent à leur égard. Se souvenir que dans les années d’après guerre, la France était quasiment la « fille ainée de l’URSS » avec des communistes au pouvoir promouvant l’idéologie mortifère. L’effondrement de l’URSS n’a pas annihilé ce substrat idéologique en France dans l’Université et qui infecte encore une partie de la magistrature.

  2. Quelle est le seule profession qui n’ait aucun compte à rendre, dont les erreurs sont à la limite aux frais du contribuable, qui dicte parfois sa loi aux élus ?
    Si cela vous tente, ne cherchez-plus jeunes gens, candidatez à l’École de la Magistrature

  3. L’Ecole Nationale de la Magistrature de Bordeaux est la fabrique de nouveaux Fouquier Tinville. C’est peut-être pire qu’une « fabrique de crétins », mais ce n’est pas exclusif. J’ai une pensée pour Alain Finkelkraut chaque fois que nos décision de justice soulèvent des interrogations :  « les crétins d’hier sont nos professeurs d’aujourd’hui ». Imaginez les résultats à venir !

  4. Il me semble indispensable que l’on puisse responsabiliser les juges ! Lorsque leurs décisions provoquent des drames il doivent être poursuivis pour mise en danger de la vie d’autrui !

  5. Effectivement un GRAND DESORDRE règne actuellement au sein de l’institution judiciaire: il suffit de prendre connaissance de l’article en page 20 du Figaro du 22 juin (signé Hervé Lehman ancien juge d’instruction et avocat au barreau de Paris) pour comprendre la responsabilité de la gauche judiciaire dans l’inefficacité de la justice pénale.
    LA JUSTICE NE GARANTIT PLUS LA SECURITE N car la gauche judiciaire , hostile à la prison et favorable à une immigration libre , se permet d’ éditer des contre circulaires en opposition aux circulaires de recommandations de la Chancellerie (dépêche du 23 mars demandant « un examen sévère des manifestations violence et en particulier de celles commises à l’encontre des élus ou des forces de l’ordre « )

  6. Excellent article .
    Il est exact que la justice actuelle doit être détruite et reconstruite dans son intégralité.
    Rares sont les magistrats qui jugent aujourd’hui en droit, leur principale préoccupation se tournant sur l’idéologie politique.
    D’ailleurs, les juristes avisés ne commentent plus les décisions judiciaires, y compris celles provenant de nos plus hautes juridictions, comme c’était le cas il y a 50 ans, époque d’une justice dont les décisions émanaient de juristes d’exception.
    Ce qui a toujours manqué à cette institution régalienne, c’est tout simplement la responsabilité de ses acteurs. En cas de « soucis », on se souviendra de la célèbre affaire dite « d’Outreau », avec, conséquemment, des petits juges qui fabriquent et mangent leur sousoupe entre eux. Imagine-t-on un conflit opposant un salarié à son employeur porté devant le MEDEF ???…
    Conclusion : La justice actuelle est rejetée tous azimuts.

  7. il n’est plus maire d’Orange, mais son fils ! Alors….! Par contre sur sa condamnation je reste septique sur le motif. Mais il a parfaitement raison sur la justice, si l’on peut l’appeler ainsi, de ce pays.

  8. Excellent article, remercions Sabine de Villeroche.. En effet il faut revoir de fond en combles la Justice. Celle ci devrait être un peux comme l’armée, totalement apolitique, bien que l’on ne peut éviter aux gens d’avoir une opinion mais qui comme la religion doit ne jamais transpirer de soi. Sans justice efficace point de civilisation point de liberté voir même une tendance à l’anarchie, à l’autodéfense. Une des solution, tout débordements doit être suivie d’exclusion définitive. La France à toutes les lois nécessaire mais de nouvelles viennent affaiblir les existantes qui font que la quantité nui à la qualité.

  9. Je suis d’accord avec tout sauf en ce qui concerne l’IVG. Un accident peut arriver à n’importe quelle femme ou jeune fille, et il est essentiel qu’elles puissent être aidées en pareil cas. Évidemment c’est difficile, voire impossible, à comprendre de la part d’un homme.

    • L’IVG doit rester la solution ultime en cas de viols, de problèmes identifiés en début de grossesse pouvant mettre en cause la vie de l’enfant et de la mère, mais en aucun cas un moyen de confort pour les femmes qui refusent les différents moyens de contraception.

    • Il n’a pas dit qu’il était contre systématiquement, ce n’est pas lui qui ira regarder les dossiers ! juste que ce n’est pas un moyen de contraception comme cela est devenu aujourd’hui, et reconnu d’ailleurs par Mme Veil ! mais c’est trop tard ! et oui il s’agit d’aider en effet !

  10. En lisant votre article, me revient en mémoire cette magnifique phrase de Charles Peguy qui est toujours, et plus que jamais, d’actualité: « l’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la Liberté, le désordre fait la Servitude »

  11. Oui la justice dysfonctionne depuis longtemps. Elu conseiller régional de Franche Comté en 1992 j’avais constaté des falsifications dans les délibérations budgétaires qui portaient sur plus de 300 millions de francs. Après un dépôt de plainte pour faux en écriture public, j’ai rencontré le procureur de la République qui m’a déclaré qu’il ne se voyait pas convoquer son ami le président avec lequel il allait à la chasse. Le procureur général, lui m’avait déclaré que lorsqu’on voit des choses comme ça, on ne va pas voir la justice, on négocie. Trois ans plus tard la Cour régionale des Comptes confirmait qu’il y avait eu une double transcription des délibérations.

  12. Si les faits rapportés par Bompard sont effectivement ceux qui ont motivé sa condamnation, le scandale est ABSOLU. Ceux qui ont condamné à une lourde peine d’inélibgibilité pour une erreur matérielle mineure sans conséquence sont eux les vrais coupables de la pire forfaiture.

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