L’alternance est le propre de la démocratie libérale, le signe indiscutable de son bon fonctionnement. Les Anglo-Saxons, qui ont inventé ce système politique, le pratiquent depuis maintenant longtemps. Satisfaits de leurs gouvernants et de leurs élus, ils les reconduisent. Déçus, ils les virent, et les opposants arrivent au gouvernement avec de nouvelles propositions.

Parfois, la continuité est plus forte que le changement. Plus un pays est capable de supporter des changements radicaux, plus il est proche de l’idéal démocratique qui permet à un peuple d’explorer les différentes possibilités et de retenir les meilleures. Ainsi, l’arrivée de Attlee et des travaillistes, en 1945, malgré le rôle de Churchill dans la victoire des alliés, était un signe éminent de démocratie. La social-démocratie s’est installée au Royaume-Uni avec le modèle de l’Etat-providence. Elle a perduré malgré une alternance régulière entre les travaillistes et les conservateurs jusqu’en 1979, où le peuple britannique a pris la mesure du déclin inexorable auquel le condamnait cette politique. Cette année-là eut lieu une véritable alternance, avec une majorité conservatrice décidée à réintroduire une politique résolument de droite fondée à la fois sur la primauté de la responsabilité individuelle et sur un patriotisme qui, dans la paix comme dans la guerre, ne cachait pas sa volonté de servir les intérêts britanniques. Cette ligne fut suivie pendant 18 ans et laissa place à un nouveau changement de majorité lorsque les Britanniques eurent le sentiment que l’idéologie conservatrice allait trop loin et accentuait par trop les inégalités et la détérioration des services publics. Une monarchie symbolisant l’unité des « nations » qui composent le royaume, des élections uninominales à un tour par circonscription qui favorisent l’émergence de majorités de gouvernement claires et nettes constituent les ingrédients d’une recette réussie qui évite les révolutions mais permet des évolutions importantes.

Le système américain est plus complexe, d’abord en raison du fédéralisme étendu sur un grand territoire et sur une vaste population qui créent des variations dans les orientations idéologiques des deux partis, ensuite par son souci primordial de l’équilibre des pouvoirs issus de processus démocratiques : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. La limitation du pouvoir par le pouvoir, ce précepte cher à Montesquieu, est également un principe de la démocratie libérale, mais il modère les oscillations de la politique. Le fait que Trump, sur plusieurs points, change radicalement la politique des États-Unis est une excellente chose, mais c’est aussi la cause de l’opposition farouche qu’il rencontre.

La démocratie libérale n’est pas un modèle universel. Elle a besoin d’un terreau mental, sociologique, historique, religieux. La France, pays catholique tenté par le protestantisme, est à mi-chemin des vieilles démocraties du Nord et de celles plus récentes du Sud. La Ve République l’a clairement orienté au Nord, avec l’intention de consolider l’exécutif, de donner au législatif la clarté et la continuité que procurent les élections uninominales.

Le bouleversement de 1981, s’il a été catastrophique pour le pays, a été la preuve que la France était devenue une démocratie libérale adulte. Malheureusement, depuis, des modifications institutionnelles inutiles et dangereuses ont enrayé la bonne marche du système. En 1986, le passage à la proportionnelle voulu par les socialistes a empêché l’alternance de porter ses fruits. Il a fallu attendre 1995 pour que Mitterrand quitte l’Élysée et, deux ans plus tard, les socialistes reprenaient le pouvoir à Matignon. On a cru mettre fin à cette incohérence des « cohabitations » avec le quinquennat, c’est-à-dire l’élection « conjointe » du Président et de l’Assemblée. C’était passer de Charybde en Scylla : on a instauré un régime, non pas présidentiel, mais personnel.

Il n’y a pas eu d’alternance en 2017, alors que le pouvoir en place était totalement discrédité. C’est une partie de ses membres qui a organisé la succession à travers le coup d’État médiatico-judiciaire qui a évincé le représentant de l’opposition, François Fillon, porteur d’une véritable alternative.

Avec l’arrivée de Macron et d’une majorité hétéroclite de rescapés du socialisme, de carriéristes qu’on croyait « de droite » et sans doute aussi de « yaka-fauquon » pleins de bonne volonté venus de la société civile, qui n’ont été élus que par l’adhésion à sa personne, la France a glissé sans s’en rendre compte dans une autocratie, un pouvoir personnel, qui n’est plus du tout une démocratie libérale.

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23 février 2020 à 17:25

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