La chasse au participe passé

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Un vent woke souffle sur notre langue. La mode est de ne plus faire l’accord du participe passé (dit Pépé) après l’auxiliaire avoir. Ça se lit et ça s’entend : « Les vacances que j’ai pris » et « les articles que vous avez aimé cette semaine ». Pour les féministes, la règle de l’accord, pépère et sexiste, serait l’obstacle majeur à l’apprentissage du français, sur notre sol et à l’étranger. Rapportée d’Italie par Clément Marot, qualifiée de « vérole » par Voltaire, cette règle « homicide » ne servirait qu’à distinguer « celles et ceux qui la maîtrisent », en creusant une inégalité entre les forts en thème et les ignorants. La cancel culture rend-elle inévitable la mort de Pépé le putois ?

Pour imposer la suppression de cette règle, rien de tel que les médias. Un bandeau télévisuel montrant le Président, avec une « maman voilée » déplorant l’absence de mixité scolaire, titrait : « Le Président m’a rassuré ». Aurait-on ajouté : « Le président m’a rassuré, anxieux que j’étais » ? Penser que cette règle pépère est anecdotique serait une erreur. Une mode homicide, venue d’outre-Atlantique, confortée chez nous par une idéologie progressiste, entend simplifier notre langue et déconstruire une grammaire héritée du latin qui, avec le grec, a justifié - on le sait ! - l’esclavage, le colonialisme et autres racismes, dont témoigne la blanchitude des statues et de la langue classique, commère de tous les maux, dont Pepé Le Pew est le descendant direct.

On peut se réjouir (ou pas) d'une loi votée à l’Assemblée confortant les langues régionales, que l’ordonnance de Villers-Cotterêts (rappelons-le) n’a jamais « interdites ». Sauf que l’on voit poindre les sempiternelles revendications d’autonomie. Et quelles contradictions ! On chérit les trésors oubliés des langues régionales mais jamais un lycéen ne lit autrement qu’en « traduction » un texte de Montaigne écrit en français. On exhibe, comme un bouquet de gui, un maigre corpus de mots franciques ou gaulois mais on supprime, sur certaines voyelles, les circonflexes qui témoignent d’une étymologie latine. Or, si vous supprimez un flexe par idéologie (une langue « évolue »), comment ne pas supprimer celui du subjonctif imparfait afin de normaliser notre langue et la rendre plus marchande ?

Après la sortie du Brexit se pose la légitimité de l’anglais comme langue commune de l’Europe. Mais si la langue instituée s’affaiblit, c’en est fini de la francophonie. Car c’est à l’école qu’elle se joue. M. Blanquer met-il vraiment tout en œuvre pour éviter la déconstruction de notre langue qui désole « les mamans voilées » en imposant, dans les écoles, des méthodes éprouvées de lecture et d’écriture ainsi qu’un enseignement simple de la grammaire ? La règle pépère a pour elle l’ancienneté, l’héritage italien qui rend sensible à l’oreille la différence entre le masculin et le féminin, la logique qui enseigne à écrire « l’erreur que j’ai laissé passer » mais « la femme que j’ai laissée toute seule ». Après la fin de la dissertation et de la littérature, celle de la grammaire ? Après celle des Aristochats, la fin de Pépé le putois ? Le redressement de la France ne passera que par la santé retrouvée de notre langue.

Marie-Hélène Verdier
Marie-Hélène Verdier
Agrégée de Lettres Classiques

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