La charia est-elle compatible avec la Légion d’honneur ?
L’on vient de découvrir que le sultan de Brunei serait grand-croix de la Légion d’honneur depuis 1996. Indignation dans toute la presse puisque c’est ce monarque qui vient de décréter que, désormais, la lapidation serait la peine applicable aux homosexuels au nom de la charia. Toujours au nom de ce Code pénal rénové, les voleurs pourront être condamnés à l’amputation d’une main ou d’un pied. L’insulte au prophète, elle, est passible de la peine de mort et pourrait s’appliquer tant aux musulmans qu’aux non-musulmans.
Peu de Français, sans doute, déjà réputés pour être mauvais en géographie, sont capables de situer sur la carte ce petit royaume asiatique de 430.000 habitants, niché sur l’île de Bornéo. Ancien protectorat britannique, son souverain, Hassanal Bolkiah, y règne sans partage depuis 1967 et possède l’une des plus grosses fortunes du monde, fondée sur l’exploitation du pétrole. La lecture de sa fiche Wikipédia est un véritable ravissement : palais plus grand que Buckingham Palace, collection de 5.000 voitures, hôtels à travers le monde, dont le Plaza Athénée à Paris, trois femmes, douze enfants… Selon le magazine québécois Voir, en 1996, pour ses cinquante ans, le sultan avait fait venir Michael Jackson pour un concert et, en 1997, c’est Céline Dion qui était venue donner un récital privé pour cet amoureux de la musique.
Mais nous nous éloignons de la Légion d’honneur. Ce serait en décembre 1996, sous le règne de Chirac, que le souverain aurait reçu cette décoration. Sans doute à l’occasion de la première visite diplomatique du Brunei en France, une visite d’État, c’est-à-dire le plus haut niveau dans le protocole. Dans ce cadre, il est procédé à des échanges de décorations entre chefs d’État, au titre de ce qu’on appelle la réciprocité diplomatique. Le mérite n’a rien à y voir et, du reste, comme le précise la grande chancellerie, les étrangers ne sont pas membres de l’ordre. Une tradition ancienne qui remonte à la monarchie. Souvenons-nous du portrait, peint par Van Loo, de Louis XV arborant la Toison d'or, offerte par le roi d'Espagne. Après la paix de Tilsit, en 1807, Napoléon et le tsar Alexandre échangèrent les grands cordons de la Légion d’honneur et de Saint-André. En 1923, à l’occasion de la foire de Milan, Benito Mussolini, président du Conseil des ministres du royaume d’Italie, reçut les insignes de grand-croix de la Légion d'honneur des mains du ministre du Commerce de l’époque. Plus près de nous, la reine d’Angleterre porte le cordon de grand-croix de la Légion d’honneur depuis 1948, offert par Vincent Auriol alors qu'elle n’était que princesse héritière*. Et tout récemment, Emmanuel Macron a été élevé au rang de chevalier de l’ordre de l’Éléphant par la reine de Danemark.
Alors, faut-il demander au sultan de Brunei de restituer à la France ses insignes de grand-croix de la Légion d’honneur ? L’ambiance « Brexit » du moment ne s’y prête pas, mais on pourrait imaginer une action concertée avec le Royaume-Uni : le sultan de Brunei n’avait-il pas été fait chevalier par la reine à l’occasion de son couronnement en 1968 et n’est-il pas général honoraire de l’armée britannique et amiral honoraire de la Royal Navy ? Pas sûr que les Anglais marchent dans la combine, eux qui font du business avant tout.
Mais avant de se pencher sur le cas du sympathique sultan de Brunei ou sur celui de Mussolini et de Franco (l'an passé, un fils de républicain espagnol avait demandé à la Justice que soit retiré au caudillo sa Légion d'honneur et avait été débouté), l’on pourrait, peut-être, d’abord traiter celui de l’ancien prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Nayef, qui reçut, le 4 mars 2016, des mains de François Hollande les insignes de grand-officier de la Légion d’honneur. Il semble, en effet, qu’en Arabie saoudite, on ne plaisante pas trop avec l'application de la charia.
* À ce titre, la reine d'Angleterre est probablement, aujourd'hui, la doyenne au monde des personnes porteuses du cordon de grand-croix de la Légion d'honneur : 71 années !
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