Jean-Claude Romand : ce qu’il pourrait écrire…

Jean-Claude Romand

On a beaucoup écrit sur moi.

Mon procès en 1996.

Silence, hurlement, impuissance et honte.

J'étais regardé comme une bête curieuse, tel un homme hors de l'humain. On a cherché en moi et sur moi, à ma place, la trace, les causes des ignobles crimes que j'avais commis. J'ai tout entendu. Je me suis tu.

J'aurais dû tenter d'expliquer les ressorts de ma machine infernale. Plus tard, l'arrêt rendu, j'ai essayé de m'expliquer à moi-même le déroulement, le processus, la fatalité. Dans la solitude de la prison, dans la prison de ma solitude.

Non, pas la fatalité. J'étais responsable et coupable. Mais je ne sais toujours pas ce qui ne m'a pas arrêté au bord mais fait plonger dans l'horreur qui a dévasté des vies, des familles. Je devine bien les apparences, mais derrière, suis-je vraiment parvenu au clair ? Les démons qu'on n'a pas élucidés demeurent tel un poison.

Durant mes vingt-six années d'incarcération, moi qui ai été un détenu modèle - et j'y tenais plus que tout, être un modèle dans une existence authentique, au lieu de l'avoir simulé dans une vie de façade -, j'ai eu le temps d'emprunter mille fois, cent mille fois, les chemins obscurs qui m'avaient conduit au pire, je n'ai pas cessé de rechercher les signes, les indices, les petits cailloux qui auraient dû m'alerter sur le fait que l'aboutissement de cette immense et incroyable comédie familiale, professionnelle et sociale ne pouvait être que ce que j'ai accompli. Sur cette ignominie absolue.

Mais j'ai buté, bien après le rituel judiciaire et sa légitime perpétuité, tout au fond de moi sur de l'inconnu. On ne peut jamais tout savoir de soi. On ne peut jamais radicalement déchiffrer le mystère qui vous a constitué comme un criminel hors normes alors que je n'ai aspiré, dans mon simulacre durable, qu'à être dans la norme.

Peu importe.

J'ai beaucoup dialogué avec mon avocat Me Abad, j'ai offert ce que je pouvais à Emmanuel Carrère pour son livre sur moi, j'ai eu le destin carcéral que je méritais.

J'ai demandé, comme j'en avais le droit, quand j'en ai eu le droit, une libération conditionnelle. Refusée une première fois, elle m'a été octroyée. D'aucuns ont protesté, et qui aurais-je été pour m'en étonner ?

Deux ans de libération conditionnelle avec un bracelet électronique plusieurs heures par jour et chaque nuit.

Je ne me plains pas. Je ne suis même pas heureux. Je pense à tous, les morts et les vivants. C'est juste quelque chose qui m'a changé de lieu et que j'ai voulu.

Je suis passé de la prison à l'abbaye, une autre forme d'enfermement, mais consenti.

Sans doute y a-t-il quelques personnes qui pensent à moi sans me haïr et beaucoup d'autres qui sont peut-être scandalisés et me vouent aux gémonies. Je les comprends. Le fait que j'aie déjà purgé une part importante de ma peine ne m'a pas fait perdre l'opprobre d'être un criminel. Je suis devenu un criminel qui a payé presque toute sa dette.

Je ne l'aurais jamais assez payée pour ceux dont la peine, j'en ai conscience, n'aura jamais de rémission, durera autant qu'eux. J'ai bénéficié de l'ordinaire d'une Justice quand, il y a si longtemps, j'ai perpétré des crimes inimaginables, « extra-ordinaires ».

Je vais rester dans la tête des gens, dans la lie de l'Histoire, dans les chroniques judiciaires comme un comble de malfaisance, un sommet d'incompréhension. Jean-Claude Romand qui s'est fabriqué une fausse vie mais a causé de vraies morts.

Je ne me pardonne rien. Je vais pactiser avec mon mystère. Je vais me taire. Je vais mourir un jour.

Je ne suis déjà plus rien.

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Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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