« Je suis dans la lessiveuse ! »
À l'occasion de la réédition de son livre, Le Journal de Joseph, un livre écrit en 1995, Francis Lalanne a bien voulu donner un long entretien à Boulevard Voltaire. Chanteur, acteur, écrivain, mais aussi opposant farouche à la pensée unique, lorsqu'on lui demande de se définir, Francis Lalanne répond : « Je suis poète ! »
Le Journal de Joseph est un livre que vous avez écrit en 1995. Le Journal de Joseph est réédité aux Éditions Première Partie. Ce livre fait suite à l’expérience que vous aviez vécue sur le film Marie de Nazareth où vous incarniez à l’écran Joseph. Ce livre tombe à point nommé puisque vous êtes dans une espèce de tourbillon médiatique depuis plusieurs semaines. En effet, vous êtes à la fois opposant principal du gouvernement d’Emmanuel Macron, complotiste ou en train « d’agresser » des journalistes de Quotidien. Comment allez-vous ?
Je suis dans la lessiveuse. Comme vous l’avez fait remarquer, mon actualité est soumise à plusieurs aléas. Vous parliez, tout à l’heure, des journalistes que j’aurais agressés, alors qu’ils m’ont agressé. La façon dont l’information est véhiculée dans la société actuelle a pour but de nuire à l’image de ceux qui s’opposent à la pensée unique dont je fais partie. Aujourd’hui, lorsqu’on a une pensée qui diverge avec la pensée unique officielle prétendument vraie parce qu’elle est émise par le gouvernement, on est tout de suite montré du doigt et rejeté par le consensus médiatique. Par conséquent, on est qualifié de conspirationniste, de complotiste, parfois de terroriste et de fou. On est dans une psychiatrisation de la pensée divergente.
Dans les pires années de l’Union soviétique, lorsque vous étiez un dissident, c’est-à-dire lorsque vous vous opposiez à la vérité d’État, on avait des doutes sur votre santé mentale.
Effectivement, je suis dans une période de grande agitation. Je consacre l’énergie qu’il me reste à me maintenir dans une actualité artistique. Je continue à écrire et à me produire clandestinement puisque aujourd’hui, il est interdit par la loi de se produire en tant qu’artiste.
On peut reprocher à certaines personnes qui se sont rendues aux dîners clandestins de s’y être rendues en voulant interdire aux autres la même liberté.
On connaît le chanteur, l’écrivain, le doubleur, mais vous êtes également un peu politique puisque vous vous êtes présenté à des élections législatives en 2017 et européennes. Comment vous définissez-vous ?
Je suis poète. Poiéô, en grec, signifie « j’agis ». C’est la racine de l’action. Je suis créé acteur. Selon moi, la notion d’action est indissociable du principe politique. Dire aujourd’hui « action poétique » est un pléonasme. La notion d’action est intrinsèquement liée au concept de poésie de manière étymologique et philosophique.
Je n’envisage pas d’écrire si je ne vis pas dans le sens de ce que j’écris.
Je n’envisage pas de dénoncer de manière artistique et créatrice ce qui me semble être un dysfonctionnement social sans, moi-même, m’engager dans la vie civique pour dénoncer ce même dysfonctionnement.
Je ne peux pas être poète si je ne suis pas citoyen. Dois-je citer mes grands aînés ? Dois-je citer Lamartine, Victor Hugo, Malraux ou peut-être, d’une manière moins connue du grand public, M. de Villepin, que je tiens pour un authentique poète ?
Je ne connais pas l’œuvre de Philippe de Villiers. Si on se réfère à ce qu’il a créé au Puy du Fou, voilà quelqu’un qui a fait œuvre de poésie. Il a allié à sa vie politique une vie culturelle dont il a été un des principaux acteurs. En ce qui me concerne, je n’envisage pas d’être celui qui dit et pas celui qui fait. Je ne peux pas, à un moment donné, me révolter. Ce n’est pas ma vision de la poésie. Je suis plutôt un homme poétique plutôt qu’un homme politique. Tout ce qui procède de l’action civique et « politique » est l’avatar de mon essence, qui est d’être poète. C’est pour cette raison que je vous réponds très simplement. Je fais partie de ces gens que Platon, dans sa République, voulait exclure de la cité. Lorsque j’entends les personnes qui dirigent la France parler des artistes, j’ai l’impression que, pour eux, l’artiste est celui qui n’invente plus la réalité, mais celui qui dit ce qu’on lui dit de dire, et s’il ne dit pas ce que le gouvernement dit, il cesse d’être bénéfique à la société, donc il faut l’exclure. Platon dit que le poète est dangereux, alors il faut l’exclure de la cité, car il fait passer l’illusion pour la réalité. C’est faux !
Il est créateur d’illusion. Lorsqu’il crée des illusions, il ne prétend pas que ces illusions sont la réalité. Lorsque certains régimes totalitaires et tyranniques créent des illusions, c’est dans le but de faire passer ces illusions pour la réalité. En cela, le poète est indispensable dans la société parce que lui montre où est l’illusion et la réalité parce qu’il ne les confond pas.
Comment vous est venu ce mode du journal intime ? Pourquoi avez-vous voulu vous mettre dans la peau de saint Joseph ?
À chaque fois que j’ai eu un enfant, j’ai été père pour la première fois, et à chaque fois, la question de ma paternité s’est posée. J’ai moi-même accouché mes enfants. C’est moi qui ai joué le rôle de la sage-femme. S’est donc posée pour moi la question de ma place. Je pense que la place de la paternité procède d’une vision du lien charnel différent de celle de la femme.
Pour une femme, l’évidence du lien charnel n’est pas discutable. Toute la grossesse n’est que la pérennisation de cette première seconde, celle de la conception qui va se manifester par la grossesse puis par l’accouchement. Le lien viscéral qui unit la mère et son enfant ne souffre d’aucune ambiguïté. En revanche, le lien charnel qui unit le père et l’enfant est beaucoup plus complexe à établir dans la chair. Si on compare les deux actes, pour un homme, faire l’amour pour procréer ou pour le plaisir, il n’y a pas une grande différence. Si on a la conscience que l’on fait un enfant au moment où on accomplit l’acte sexuel, il peut peut-être avoir des émotions qui viennent habiller cette expérience physiologique et charnelle. Pour être plus prosaïque, lorsque j’ai conçu mes enfants, je n’ai jamais fait que ce que j’aime le plus au monde.
En ce qui concerne la mise au monde, tout va se passer dans le corps de la femme et dans le cœur de l’homme.
J’ai eu à cœur de me conduire comme le père adoptif des enfants que j’ai conçus. Je ne me suis jamais conduit à l’égard de mes enfants comme si j’étais leur géniteur mais comme si j’étais leur père adoptif. C’était une certaine manière de leur dire que notre lien n’est pas celui de la fatalité biologique, mais celui de l’amour absolu. C’est une façon de leur dire que, pendant toute la période où je les ai « élevés » (le mot est bien présomptueux), je les ai choisis et ils m’ont choisi. Ce que nous vivons ensemble est une histoire d’amour et est arbitré par notre cœur et non par quelque chose qui nous dépasse. Je crée et je constitue ce lien chaque jour. Chaque instant est pour moi la confirmation du premier instant. C’est une façon de perpétuer ce moment de la conception qui m’a d’ailleurs échappé. Le jour où votre épouse vient vous montrer son test de grossesse positif est un moment qui n’a pas pu lui échapper. Elle en avait déjà été avertie d’une certaine manière par son propre corps. En revanche, ce moment où l’homme le découvre a manifestement pu lui échapper. Chaque instant d’amour qui m’a relié à mes enfants, j’ai eu à cœur de reproduire en conscience ce premier instant qui m’a échappé. Il m’a échappé pour mon plus grand bonheur, car il est magnifique d’avoir la chance d’échapper à ce genre de conscience-là et de pouvoir y accéder par la suite d’une autre manière.
Lorsque vous aviez écrit ce livre, vous pensiez peut-être à vos enfants. Aujourd’hui, il y a peut-être un rapport à votre foi, à votre compagne. En le relisant, trouvez-vous d’autres facteurs enrichissants ?
En le relisant, j’ai réalisé à quel point les valeurs chrétiennes qui sont les miennes sont au cœur du changement de paradigme. Je crois que le monde est en train de changer de paradigme. Nous arrivons, aujourd’hui, aux limites de ce système. C’est toujours quand la bête est blessée qu’elle est la plus dangereuse. Nous subissons les soubresauts de la bête. Ceux qui s’opposent à la pensée unique et qui agissent dans le but de maintenir les citoyens dans un état de conscience éveillé et éclairé ont des valeurs chrétiennes et ont aussi besoin d’afficher leur foi.
En relisant ce livre, c’est un peu ce que j’ai relu de moi. Tout d’un coup, ce qui fait se relier dans mon expression à la fois poétique et politique est l’action pour un nouveau paradigme qui est une action sociale, civique et concrète. Mon action poétique est celle de la pérennisation de ce besoin que l’être à d’être positivement humain et non négativement humain.
Si vous aviez l’assurance qu’une seule personne dans le monde lisait ce livre, qui voudriez-vous que ce soit ?
Le diable, pour qu’il cesse de l’être !
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