J’ai fait Mai 68 et je n’en tire aucune gloire !

Le récent débat sur la chaîne Histoire entre Jean-François Sirinelli et Jean Pierre Le Goff m’a inspiré ces quelques réflexions.

La première est que l’étiquette d’ancien soixante-huitard est porteuse, en ces temps de prochain cinquantenaire de Mai 68. Bien que parler de mon itinéraire à cette occasion me semble secondaire, je ne résiste pas au fait de dire que j’ai aussi participé à Mai 68 et que je n’en ai tiré aucune gloriole. Il faut dire que, loin de s’incarner dans la France profond, mon histoire a pris corps avec la perte de mon pays natal. Pied-noir déraciné, j’ai naïvement cru guérir le mal-être provoqué par cette perte en accompagnant le délire adolescent de révolutionnaires qui n’avaient évidemment aucune sympathie pour le drame que j’avais vécu. Héritier de ces « criminels contre l’humanité » récemment dénoncés par celui qui devrait être le « père de la nation », j’ai adhéré un temps au gauchisme anté et post-68. Et j’ai mis un certain temps à me remettre de cet engagement à caractère névrotique. Heureusement, par la suite, mon « retour sur Terre » m’a conduit très naturellement à reconnaître mon pays dans toute son histoire (sans la faire commencer à 1789).

La deuxième réflexion est relative à une remarque de Jean François Sirinelli qui voudrait redonner à l’utopie ses lettres de noblesse ! L’utopie, qui a toujours voulu changer l’homme, devrait pourtant être rangée, dans le meilleur des cas, aux accessoires de l’impuissance historique et, dans le pire, à ceux du totalitarisme.

La troisième porte sur le rôle de « plaque sensible », ce concept léniniste que Jean-Pierre Le Goff remet au goût du jour. Certes, la jeunesse a peut-être été, en 68, une « plaque sensible », mais aujourd’hui, la véritable « plaque sensible » n’a pas d’âge, elle regroupe tous ces Français qui, sondage après sondage, disent ce qu’ils pensent de l’immigration incontrôlée, de l’islam politique et du déclin de notre identité judéo-chrétienne.

La quatrième est liée à la juste constatation faite par Jean-Pierre Le Goff de la difficulté de passer de l’ancienne société à la nouvelle. On peut s’interroger sur cette réalité et se demander si l’origine de cette difficulté ne prend pas sa source dans notre Révolution elle-même, porteuse de tant de symboles et de tant de non-dits. Il est dommage que des intellectuels qui nous avaient habitués à faire preuve d’une certaine lucidité sur l’appréhension des problèmes contemporains de notre pays donnent tant d’importance à une commémoration, somme toute, secondaire et n’entament pas une critique radicale de la Terreur révolutionnaire de 1792, qui a pourtant enfanté tant de nos comportements sociaux et politiques ? Qu’attendent ces intellectuels pour établir un lien systématique entre Terreur et Révolution, Révolution et totalitarisme ? Je prends le pari que le peuple français serait prêt à cette remise en cause qui l’aiderait à comprendre beaucoup de nos errements actuels.

La cinquième réflexion renvoie au gauchisme culturel cher à Jean-Pierre Le Goff. Au-delà de ce gauchisme culturel certainement en partie enfanté par Mai 68 se pose une question qui, elle, est politique : pourquoi notre classe politique s’est-elle gauchisée au point d’être incapable, aujourd’hui, de prendre la mesure de nos ennemis et de laisser les clés de notre pays à un courant politique construit sur une ambiguïté fondamentale par rapport à notre identité.

Quand on débarrasse l’analyse de toute subjectivité, quand on regarde sans complaisance cet épisode de notre jeunesse, on est amené à porter un jugement sévère sur un mouvement qui a produit, même à petite échelle, du sang et des larmes. Même si Mai 68, parodie de révolution, a peut-être (?) sonné le glas de la révolution dans notre pays, c’est bien à cette idée même de révolution qu’il faut s’attaquer, si l’on veut vivre un XXIe siècle moins tourmenté que le siècle passé. Mais cela, on ne l’a jamais entendu dans l’émission.

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Rémi Dauphin
Essayiste, ancien inspecteur de l'Education nationale

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