Parmi toutes les mesures annoncées par Jean-Michel Blanquer, l’interdiction du téléphone portable dans les collèges – qui figurait dans le programme d’Emmanuel Macron : une mesure de bon sens, apparemment. Mais elle est difficile à mettre en place et ne doit pas éluder un problème tout aussi grave : celui de la place du numérique à l’école.

Rappelons que le Code de l’éducation précise déjà dans son article L.511-5 que "dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l'utilisation durant toute activité d'enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d'un téléphone mobile est interdite". Le règlement intérieur de l’établissement doit, en principe, préciser les conditions de son utilisation en dehors des cours.

Les raisons de cette interdiction sont multiples : dispersion de l’attention des élèves, sonneries intempestives, tricheries éventuelles, diffusion ou échange d’images ou de vidéos non adaptées à leur âge, voire à caractère pornographique, photos clandestines diffusées sur les réseaux sociaux, harcèlement… Mais plusieurs objections peuvent être soulevées.

Il est difficile de la mettre en place. On ne peut fouiller tous les élèves à l’entrée de l’établissement et des casiers pour les déposer coûteraient beaucoup d’argent et causeraient une perte de temps. Sans compter que certains prendraient un malin plaisir à dissimuler leur appareil ou à enfreindre le règlement par goût de la transgression.

D’autre part, de nombreux parents équipent leurs enfants d’un portable, rassurés de pouvoir les joindre ou être joints, surtout à une époque où les problèmes de sécurité sont une réalité. Enfin, alors qu’on ne parle que du développement du numérique à l’école, il serait paradoxal d’interdire l’outil le plus facile d’accès.

Mais s’il est bon de contrôler l’usage du portable à l’école, qu’adviendra-t-il dès que les élèves en sortiront ? Le meilleur moyen ne serait-il pas d’éduquer les élèves dans ce domaine ? L’Éducation nationale a organisé une prévention des conduites addictives en milieu scolaire. Pourquoi ne pas y ajouter l’usage du téléphone portable ? Et, plus généralement, une réflexion sur l’usage de tous les instruments numériques.

Alain Finkielkraut dénonce le développement excessif du numérique à l’école. Ses détracteurs lui reprochent d’être un vieux réactionnaire qui s’oppose à tout progrès. Mais d’autres, qui échappent à cette réduction dépréciatrice, comme l’ingénieur Philippe Bihouix, dans son essai Le Désastre de l'école numérique, plaident dans le même sens.

Quand certains cadres de la Silicon Valley inscrivent leurs enfants dans des écoles sans écrans, la France se lance à marche forcée dans le numérique, sans réfléchir aux effets des objets connectés sur le cerveau des élèves. Dans un entretien à Libération, publié en 2016, Philippe Bihouix a cette formule expressive : "Nous allons élever des enfants hors-sol, comme nos tomates insipides !"

La pédagogie sur écran, considérée comme la panacée pour lutter contre l’échec scolaire et les inégalités, n’est qu’un trompe-l’œil. "Lutter vraiment contre les inégalités, ce n’est pas fournir des tablettes mais offrir des cours de violon, de théâtre…" On sous-traite ses connaissances et sa culture aux moteurs de recherche.

Contrôler l’usage raisonnable du téléphone portable, en sanctionner les abus et les dérives, protéger les élèves de la dispersion partent d’une bonne intention. Mais cette préoccupation ne doit pas occulter la nécessité d’une réflexion globale sur les excès du numérique, dont l’Éducation nationale elle-même est coupable.

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14 septembre 2017 à 23:08

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