Immigration : le gouvernement devrait se préoccuper de la France plus que du RN

Il y a eu des votes sans débat.

Sur l'immigration, à l'Assemblée nationale, il y a eu un débat sans vote.

Ce n'est pas anodin que cette démarche tronquée. Comme si on voulait éviter que la politique et ses clivages partisans n'apparaissent trop ostensibles. Alors qu'on cherchait à donner l'impression non pas d'un consensus - c'est impossible - mais au moins d'échanges se contentant d'opposer des points de vue contradictoires, tout cela dans une totale urbanité républicaine, chacun jouant son rôle et sa partition.

Pourtant la politique, avec sa pesanteur et ses impasses, était infiniment présente quand on y songe.

Parce que dans le livre démocratique, le président de la République a ouvert tardivement la page de l'immigration, il a donné à sa démarche qui aurait pu apparaître lucide un tour ostensiblement tacticien, qui n'a pas été sans incidence sur la manière dont le gouvernement et le groupe parlementaire ont réagi.

Pour le second, on a constaté que le prétendu dépassement de la gauche et de la droite avait abouti, au sein de LREM, à une tendance de droite mais surtout à une vision de gauche, notamment sur l'immigration, avec une approche déconnectée du réel, enivrée par un humanisme se félicitant d'être progressiste. Je n'aurais jamais cru un tel discours encore possible, comme si les valeurs vivaient en totale autonomie sans avoir la moindre obligation de se colleter à la vérité des faits et de la société.

Si le Premier ministre a tenté d'appliquer tant bien que mal ce qu'il avait perçu dans les récentes orientations d'Emmanuel Macron, les ministres concernés ont traîné des pieds et de l'esprit pour proposer des pistes nouvelles au sujet de l'immigration, pour mieux la réguler et la contrôler. Ils ont manqué d'enthousiasme, probablement parce qu'ils estiment que, sur ce sujet, ils ne sont pas les plus légitimes et que, surtout, tétanisés par la crainte d'aller sur les chemins du RN, ils préfèrent le surplace.

Le Premier ministre confronté au même dilemme a usé du débat comme d'un argument suprême, évoqué les quotas, la réforme de l'aide médicale de l'État et, classiquement, promis d'accélérer les expulsions d'étrangers en situation irrégulière. C'est à peu près tout, sauf à considérer que les autres pistes de réflexion, à la fois vagues et à long terme, pouvaient représenter de bonnes réponses aux questions pertinentes que le RN pose depuis longtemps et qui n'avaient que le tort d'émaner de lui.

L'embarras du pouvoir est perceptible. Il ne peut plus nier l'ampleur d'une immigration si mal maîtrisée que beaucoup qui ne devraient plus demeurer en France y restent. En même temps, il dénonce les solutions radicales du RN mais semble lui donner raison, puisqu'il n'en trouve pas d'autres plausibles et opératoires qui fassent le poids.

Cette ambiguïté est préjudiciable à ce que l'immigration devrait susciter. Elle laisse croire que seul le RN aurait le droit d'aborder l'immigration alors qu'il s'agit d'une réalité subie par beaucoup, qui touche le cœur de notre « vivre ensemble » et les fondamentaux de notre démocratie. La rigueur des remèdes et la vigueur nécessaire de la politique ne devraient pas être récusées au prétexte que, souhaitables, ils pourraient favoriser le RN. C'est l'inverse qui le sert : ne pas voir le réel sous toutes ses faces, avoir peur de prendre les mesures qui conviennent, se préoccuper plus de l'adversaire que de la France.

Ce climat se repaissant d'être partisan est d'autant plus exaspérant que je suis persuadé que quelques idées simples seraient approuvées par tous si on voulait bien quitter la passion de la bataille. Le droit d'asile est sacré quand il n'est pas dévoyé. On ne vit pas en France sans titre. On doit être expulsé quand on n'a plus le droit d'y demeurer. En France, on respecte les lois et on ne déroge pas à ses valeurs fondamentales.

Juste un mot pour terminer sur des crimes et des tragédies qui ont poussé au paroxysme les effets de l'absence de réalisme et de rigueur.

J'éprouve le plus grand respect pour les quatre victimes de la préfecture de police de Paris et une infinie compassion pour leurs familles. Mais j'en ai plus qu'assez de ces hommages APRÈS, des beaux discours du président de la République, toujours sur le même mode, avec une émotion conviée et toujours fidèle au rendez-vous et des engagements de fermeté renouvelés, mais, partout, de ce défaut d'efficacité, de professionnalisme et de rigueur AVANT.

L'immigration : il faudrait être pour ! Mais pourquoi ne pas regarder d'abord, vérifier, accueillir ou expulser ?

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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