Le monde est en émoi. Pensez : depuis minuit, nuit de samedi à dimanche derniers, les Saoudiennes ont le droit de s’asseoir derrière un volant. Formidable ! Renversant ! Inouï !

Cette liberté extraordinaire bouleverse l’Occident blanc qui, de la vieille Europe aux jeunes États-Unis, dépose ses hommages et ses félicitations enflammées sur les babouches de Mohammed ben Salmane, le prince héritier que tout le monde s’arrache.

Dans les milieux qui comptent (surtout au sens premier du mot), on l’appelle « MBS », c’est dire comme il a la cote. La preuve : il a fait, à l’automne dernier, une tournée officielle et triomphale dans notre monde. Trois semaines aux États-Unis : tapis rouge à la Maison-Blanche, tapis rouge à l'usine Boeing d'Everett, tête-à-tête avec Jeff Bezos (Amazon), Lloyd Blankfein (Goldman Sachs) et Bill Gates. Il est venu leur dire tout le mal qu’il pensait de l’Iran, un voisin qu’il aimerait écraser comme il le fait du Yémen et du Qatar.

À l’évidence, l’héritier saoudien a été entendu.

MBS n’a d’ailleurs passé qu’un jour à Paris. Par stricte politesse. Pas pour faire des affaires avec la France mais parce que Macron est un jeune loup et pas un vieux barbon.

Mais ce matin, la France se pâme et la presse en fait des tonnes : les Saoudiennes conduisent. Mon Dieu, comment est-ce possible ! Mais il y a mieux encore : il paraît que le prince héritier va maintenant s’attaquer au harcèlement sexuel. Punir d’une amende de 300.000 riyals (68.000 euros) les salaces qui susurrent dans le voile et tripotent sous la bâche. C’est dire si, là-bas, on s’occidentalise…

Mais si Mohammed ben Salmane, grand réformateur devant Allah, a en effet levé l'interdiction des salles de cinéma, autorisé les concerts mixtes et réduit les pouvoirs de la police religieuse, il n’en continue pas moins à faire un ménage intensif parmi les opposants. Notamment les femmes qui, avant que la réforme ne passe, s’opposaient justement à l’interdiction qui leur était faite de conduire. Arrêtées, neuf d’entre elles seraient toujours en prison, accusées d'"atteinte à la sécurité du royaume et d'avoir aidé les “ennemis” de l'État". Il faut aussi rappeler que, même derrière un volant, la femme saoudienne est toujours légalement sous tutelle des hommes de la famille. En 2018… L’obscurantisme a encore de beaux jours devant lui, et le magazine Challenges nous signale qu’en 2013, encore, "un religieux saoudien très connu, le cheikh Saleh al-Luhaidan, assurait que conduire pourrait endommager les ovaires des femmes et déformer leur pelvis, ce qui entraînerait des malformations des nouveau-nés".

Enfin, si l’on se souvient de la purge conduite par Mohammed ben Salmane en novembre dernier au nom de la lutte anticorruption, laquelle a conduit à l’emprisonnement de plus de 200 princes et autres milliardaires – dont le célèbre Al-Walid ben Talal, actionnaire de Twitter et propriétaire de l'hôtel George-V à Paris, comme le rappelait Challenges –, on oublie un méchant travers des princes wahhabites : la peine de mort comme outil de gouvernement.

Plus de 2.000 personnes ont été exécutées en Arabie saoudite entre 1995 et 2016, et le jeune prince qui séduit l’Occident a poursuivi cette tradition à un rythme soutenu, soit une moyenne de cinq mises à mort par semaine. Quarante pour cent des personnes exécutées le seraient pour trafic de drogue, condamnées après des aveux extorqués sous la torture. Curieusement, ce sont aussi essentiellement des chiites…

Selon les conclusions d’Amnesty International, "les autorités saoudiennes utilisent la peine de mort pour étouffer la dissidence et mater les minorités".

Mais qu’importe, ces gens-là sont nos grands amis.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 21:06.

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25 juin 2018 à 15:30

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