Emmanuel Macron, ou le parti de l’étranger, quarante ans après

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On se souvient du célèbre appel de Cochin, en 1978, dans lequel Jacques Chirac, depuis son lit d'hôpital, fustigea l'européisme de Giscard et consacra sa rupture avec lui. La formule - estampillée Pierre Juillet et Marie-France Garaud - fit mouche et posa son auteur, dans la mythologie post-gaulliste, comme un authentique patriote. L'Histoire se chargea de démontrer que, dès son accession au pouvoir en 1986 en tant que Premier ministre de cohabitation, puis en 1995 comme Président, Jacques Chirac fut un très digne continuateur de Giscard (et de Mitterrand), et cela dans tous les domaines.

Dès les élections européennes de 1984, il soutenait une liste unique très europhile menée par Simone Veil. Jacques Chirac avait très vite rallié ce parti de l'étranger. Sa position, lors du référendum de 1992 sur le traité de Maastricht, acheva de lui faire tomber le masque. Philippe Séguin était alors le miroir de la trahison chiraquienne. L'Histoire ne manquera pas, non plus, de noter que c'est précisément dans ces années de reniement gaulliste et européen de Jacques Chirac qu'émergea une force politique inattendue, le Front national, qui déboula sur les radars électoraux pour la première fois en 1984 avec un 11 % historique.

Quarante après, la France a, à sa tête, le Président le plus giscardien et le plus béatement europhile en la personne d'Emmanuel Macron. Et le parallélisme des situations veut que lui aussi soit le chef d'un parti neuf, comme l'UDF que VGE créa en février 1978, dont le premier test électoral en tant que parti majoritaire sera le scrutin européen de mai prochain - quarante ans après. Mais, aujourd'hui, nul besoin d'appel prophétique pour dénoncer ce « parti de l'étranger ». La chose est entendue de tous, et quasiment revendiquée par le camp du Président.

Mais, quarante ans après, la formule prend une tout autre résonance, et une épaisseur nouvelle. L'étranger, en 1979, ce n'était que cette lointaine CEE. Aujourd'hui, c'est non seulement l'Union européenne, mais aussi les questions de l'immigration et de l'islamisation. Et si la formule était finalement, à l'époque, anachronique, elle est bien plus d'actualité aujourd'hui. La prophétie de Jacques Chirac était juste, et il a tout fait pour qu'elle se réalise.

Mais il est une autre dimension de « l'étranger » qui n'existait pas non plus, lors de ces élections de 1979. C'est cette catégorie du corps électoral dénommée les « Français de l'étranger ». Mondialisation aidant, elle représente aujourd'hui 1,3 million d'électeurs, en hausse de 228 % par rapport à 2002 !

Une étude très sérieuse - et sans surprise - de la fondation Jean-Jaurès réalisée par l'IFOP et relayée par Le Figaro, sur leur vote lors de l'élection présidentielle de 2017 montre qu'Emmanuel Macron est bien, dans ce sens-là, aussi, le Président de l'étranger puisqu'il "surperforma" son score du premier (40 % au lieu de 24) comme du second tour dans cette catégorie d'expatriés, aux hauts revenus, et par définition attachés à la mondialisation.

Deux enseignements à tirer :
- les Français de l'étranger, ce n'est pas la France : on y est, sociologiquement, fiscalement et idéologiquement super-macroniste et peu patriote ;
- mais, pour autant, les Français de l'étranger - puisque leur nombre dépasse le million d'électeurs et que les raisons de leur expatriation , notamment économiques et fiscales, mais aussi sécuritaires, n'ont guère été modifiées depuis l'élection d'Emmanuel Macron - ne constituent pas une donnée politique négligeable : un candidat de droite identitaire doit être capable de s'adresser aussi à eux, et en tout cas bien mieux que ne le fit Marine Le Pen (6 % au lieu des 21 %).

Enfin, en ces temps où, de Trump aux populistes européens, on réfléchit enfin sérieusement au droit du sol sous l'angle de la question essentielle (suffit-il de s'installer sur un territoire et dans un pays pour en obtenir la nationalité ?), on pourrait aussi se poser la question inverse : que penser du droit de vote de tous ces expatriés qui ont le pouvoir d'orienter l'avenir migratoire du territoire que, pour certains, ils ont depuis longtemps quitté et, quelque part, abandonné ?

Frédéric Sirgant
Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

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