Gilles Simeoni se félicitait, dimanche soir, de la large victoire qu’il avait remportée avec Jean-Guy Talamoni. Il minimisait l’objection de la forte abstention (47,5 %), en arguant qu’elle était moindre qu’au second tour des législatives (57,36 %), ce qui, selon lui, n’entame pas la légitimité de l’Assemblée nationale. Pas sûr que son raisonnement soit infaillible : il suffirait de démontrer que, précisément, la représentation nationale ne reflète pas l’ensemble des Français pour qu’il tombe à l’eau.

Si l’on tient compte de l’abstention, les 56,5 % des suffrages exprimés en faveur de leur liste représentent moins de 30 % des votants, et encore moins d’inscrits. C’est une majorité toute relative ! Une grande partie des Corses n’ont pas jugé utile de se déplacer. Mais, dans le système électoral actuel, le scrutin est ainsi organisé que cette minorité est majoritaire.

La conjoncture politique était propice. Un ras-le-bol généralisé du gouvernement Macron, un besoin de reconnaissance identitaire et un rejet des immigrés, qui ne sont sans doute pas étrangers au score atteint dans l’île par Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle (48,52 %).

Forts de leur légitimité, fût-elle contestable, les nationalistes se donnent pour objectif d’obtenir, d’ici trois ans, un statut d’autonomie avec des pouvoirs législatifs et fiscaux. Ils veulent rouvrir le dialogue avec le gouvernement sur la co-officialité de la langue corse, le statut de résident – ce qui nécessiterait une modification de la Constitution – et l’amnistie des prisonniers « politiques » : épithète discutable quand il s’agit d’actes comme l’assassinat d’un préfet.

Jean-Pierre Chevènement souligne, dans un entretien au Figaro, que "la montée du nationalisme corse est le résultat de démissions successives de tous les gouvernements de droite et de gauche depuis une quarantaine d'années". La revendication de co-officialité de la langue corse conduirait à "une politique d’exclusion à l’égard de tous les continentaux". Revendication loin d’être innocente. Les nationalistes corses savent que la langue est le ciment d’un peuple et qu’en l’imposant à tous, ils excluent de facto tous les fonctionnaires qui ne la parleraient pas. Méthode efficace pour « corsifier » ce territoire français.

On peut s’étonner que des Corses, qui ont donné un empereur à la France, se considèrent comme un peuple colonisé, qui aurait besoin de se libérer et de proclamer à terme son indépendance. En fonction de la réponse du gouvernement, comme les Catalans, les Lombards ou les Flamands, d’autres régions pourraient bien demander leur autonomie, voire leur indépendance. Il y a, cependant, une grande différence entre des régions riches, qui estiment trop payer pour des régions plus pauvres, et la Corse, qui reçoit de nombreux subsides de l’État.

Il reste que cette victoire des nationalistes corses est révélatrice d’un mal profond, qui peut toucher peu ou prou l’ensemble du territoire français. La France est découpée en régions, souvent artificielles, qui éloignent les citoyens des centres de décision. Si la Corse y a échappé, d’autres régions aspirent à retrouver leurs frontières historiques et géographiques, leurs traditions, leurs racines, une certaine liberté, tout en restant attachées à la France.

La leçon de cette élection en Corse, c’est d’abord qu’il faut sans tarder confirmer, voire élargir les pouvoirs des communes et les départements. Il faut redonner une dynamique à des régions qui correspondent à l’histoire et non à des lubies technocratiques, tracées au coin d’une table. Bref, il faut prendre des mesures pour que la démocratie ne soit pas qu’une apparence.

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11 décembre 2017 à 15:23

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