Éducation minimum : le guide de savoir-vivre punk d’Arnaud Florac

Éducation minimum

« Fidèle sans être dupe », selon la formule de Michel Mohrt, vous avez une passion depuis haut comme ça pour les causes perdues ? Mille fils affectifs vous relient à cette vieille droite touchante ayant tellement l’habitude d’être battue que lorsqu’elle qu’elle perd un peu moins, elle a l’impression d’avoir gagné ? Vous n’en faites pas partie - ou alors depuis si récemment que vous percevez vous-mêmes vos manières de plouc de la pensée - mais fou amoureux d’une jeune fille issue de ce cercle des poètes (pas si) disparus, vous désirez faire bonne impression à table quand vous serez reçu chez ses parents et sentez confusément que vous n’avez pas les codes ?

Formation accélérée de maintien

Arnaud Florac, contributeur bien connu des lecteurs de BV, et Romée de Saint Céran (dessinateur) se muent obligeamment, l’espace d’un livre intitulé Éducation minimum  (chez Magnus), en baronne Staffe et Nadine de Rothschild pour vous dispenser une formation accélérée de maintien. Attention, l'objet n'est pas de vous faire passer l'envie de mettre les coudes sur la table ou d'user d'un couteau pour couper votre salade. Ici, on vous initie à cette éducation immatérielle qui ne s’apprend pas à l’école - surtout pas l’école de 2023 -, mais qui se transmet dans le creuset familial et qui signe que vous « en » faites partie ou pas. « Je ne pourrais pas me marier avec quelqu’un qui ne connaît pas Jean-Pax Méfret », déclarait récemment, ingénue et péremptoire, une jeune fille de 15 ans dans ma cuisine.

De Jean-Pax Méfret, précisément, il est question ici : « On ne peut pas s’intéresser un tant soit peu au paysage réactionnaire si l’on ne connaît pas Jean-Pax. On pourrait même dire dire, en paraphrasant irrévérencieusement Marc Bloch, qu’il y a deux sortes d’hommes : ceux qui trouvent Johnny vulgaire, ceux qui trouvent Jean-Pax facho. »

Cette sorte de dictionnaire amoureux (une cinquantaine de chapitres au total), comme tous les florilèges, est subjectif. C’est ce qui en fait le charme baroque - la messe en latin voisine avec James Bond… - et les petits étonnements : je n’y aurais pas mis Fanny Ardant, dont le grand cou et le port de tête altier font des promesses de capacité à s’élever au-dessus de la masse qu’ils ne tiennent pas. J'aurais troqué Céline contre Anouilh, Arsène Lupin contre Cyrano de Bergerac, Dominique Venner contre Gustave Thibon. On pourra être surpris, aussi, de n’y trouver aucune allusion au Puy du Fou, au pèlerinage de Chartres, aux écoles hors contrat ni au scoutisme. Mais il faut bien, n’est-ce pas, laisser la porte ouverte à un prochain volume.

Les yeux dans le rétroviseur sans perdre de vue la vitre avant

On admirera le doigté pour évoquer le général de Gaulle, sujet explosif s’il en est : durant de longues années, il aurait pu faire l’objet, lui aussi, d’un dessin de Caran d’Ache : « Ils en ont parlé. » On peut dire que l’homme a détruit l’unité de la droite et l’a dispersée façon puzzle, selon la formule célèbre d’Audiard, une autre entrée incontournable de ce livre.

On y retrouve le grand Raspail (disparu en 2020) et le trop injustement méconnu Vladimir Volkoff (parti, lui, en 2005), dont les monuments littéraires (Le Camp des saints ou Le Bouclage pour l’autre) n’ont pas pris une ride. Normal, puisqu’ils étaient prophétiques. Un jour, justice sera forcément rendue à ces deux géants enfouis qui partageaient le talent d’être gaiement apocalyptiques.

Ce florilège, et il faut l’en saluer, évite un écueil, celui de sombrer dans le cétaitmieuxavantisme qui est parfois un nihilisme et marche de pair avec une inféconde désespérance : No future. Arnaud Florac a souvent les yeux dans le rétroviseur, mais ne perd pas de vue la vitre avant, avec le chemin clair qui serpente.

Il entend, au contraire, exorciser cette vieille tentation : « Les hussards étaient nostalgiques de l’avant-guerre. Certains sont aujourd’hui nostalgiques des hussards. Cette douce tristesse est le lent poison des réacs. C’est tolérable comme un démon familial mais cela ne doit surtout pas devenir un but en soi. »

En terminant son évocation de Penfentenyo et Stauffenberg, l’auteur émet l’hypothèse : « Tous ces hommes qui mirent leur peau au bout de leurs idées avaient des enfants. Beaucoup d’enfants, on peut objectivement le dire. C’est probablement un cercle vertueux : en multipliant les petites paires d’yeux qui les regardaient, ces papas, faillibles comme tout le monde, se sont inconsciemment obligés, encore davantage, à ne pas tomber de leur piédestal. » L'auteur l’affirme, le « savoir-vivre est punk ». Ce livre aussi. Ceux qui apprécient - et ils sont nombreux sur BV - le style acéré, grinçant et efficace d’Arnaud Florac en feront leur livre de chevet.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

5 commentaires

  1. Merci, Madame. Vous m’avez donné l’envie d’acheter et de lire ce livre d’autant plus que l’auteur en est Arnaud Florac dont j’aprécie toujours les éditos.

  2. Je confirme, ce livre est vital ,très profond et distrayant à la fois. Ça ravigotte comme disent les gens de la belle Province.

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