Disparition de Jack Ma, ou comment le pouvoir politique chinois reprend son économie en main…

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Qu’est devenu le multimilliardaire chinois Jack Ma, patron d’Ant Financial, groupe pesant 173 milliards de dollars, et propriétaire du site Alibaba, équivalent local de l’Américain Amazon ? On sait juste qu’il disparaît le 24 octobre dernier, après avoir prononcé un discours assez critique sur le régime du président Xi Jinping. Depuis ? Rien, si ce n’est que, le 3 novembre, Pékin annule l’introduction de son groupe en Bourse, prévue deux jours plus tard.

Ce 5 novembre 2020, le mensuel Capital note : « Avec cette opération, Ant Financial aurait été valorisé à 318 milliards de dollars, soit davantage que la plupart des banques traditionnelles en Chine ou aux USA. » Le Figaro du 4 janvier 2021 confirme : « Ce devait être la plus importante introduction en Bourse de l’Histoire. »

Comment expliquer une telle disgrâce ? Jack Ma est de cette génération d’entrepreneurs chinois ayant entendu le message de Teng Hsiao-ping, successeur de Mao : « Enrichissez-vous ! » Et les Chinois de s’enrichir, grâce à ce capitalo-marxisme ayant permis à l’empire du Milieu de refaire le retard qu’il accusait vis-à-vis du monde occidental. Mais le message délivré par le tout-puissant Parti communiste, ce n’était pas non plus « Critiquez-nous ! » Autrement, Jack Ma ne se serait pas permis d’aller rencontrer Donald Trump avant même que ne soit organisée une rencontre officielle entre Washington et Pékin pour, ensuite, dénoncer la mentalité de « boutique de prêteur sur gage » menée par son pays.

Ce que Jack Ma n’a pas, non plus, compris, c’est qu’avec l’arrivée de Xi Jinping, nouvellement élu président à vie, l’heure n’était plus à l’admiration béate d’entrepreneurs individualistes, mais au retour de ces derniers dans le giron de l’État et surtout celui du Parti. Bref, il a oublié qu’il était en Chine, pays du temps long et de la stratégie qui voit loin. C’est à cette seule aune des rapports de force et non point des droits de l’homme qu’il faut considérer « l’affaire » Jack Ma.

Si, aux USA, le pouvoir économique des GAFAM a, depuis longtemps, pris le dessus sur celui, politique, de la Maison-Blanche, il n’en va pas de même en ces lointaines contrées, les Chinois ayant bien compris les raisons de la chute du voisin soviétique : effondrement du pouvoir central et laisser-aller économique général, jusqu’à ce qu’un Vladimir Poutine ne vienne remettre les oligarques au pas. Et à Pékin, la seule oligarchie qui vaille est celle d’un Parti se voyant comme un lointain continuateur de l’œuvre initiée par les empereurs de jadis. D’ailleurs, le groupe de Jack Ma ne sera pas forcément démantelé ; juste remis au pas. Sans lui, il va de soi.

Sans aller jusqu’au primat total du politique sur l’économie, ou l’inverse d’ailleurs, on constatera, même si comparaison n’est pas raison, que l’Europe a désormais perdu sur les deux tableaux. De même, si l’État chinois privilégie la sécurité à la liberté, au moins ses citoyens jouissent-ils de la sécurité ; ce n’est pas là-bas que les voyous tabasseraient les policiers.

En France, il faut bien admettre que nous n’avons ni l’une ni l’autre : la liberté d’expression est peau de chagrin ; quant à la sécurité des biens et des personnes, mieux vaut en rire. Surtout quand, en matière économique, la situation se résume au capitalisme sans la liberté d’entreprendre et au socialisme sans la justice sociale.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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