Daniel Cordier, l’un des dix derniers Compagnons de la Libération encore en vie, vient d’être élevé à la dignité de grand-croix dans l’ordre national de la Légion d’honneur. Une distinction dans l’ordre normal des choses lorsqu’on considère la vie et l’œuvre de cet homme. Mentionnons, au passage, que Daniel Cordier, en mai 2017, appela à voter pour Emmanuel Macron, déclarant que "Marine Le Pen, c’est la France de la réaction, c’est la France de Charles Maurras qui continue..." On ne pourra donc pas accuser Emmanuel Macron d’être ingrat.

Qui est Daniel Cordier ? Difficile de résumer en une page une vie qui commença en 1920 : ancien de l’Action française, engagé dans les Forces françaises libres dès l’été 40, peintre, galeriste, marchand d’art, biographe, historien… À tel point que France Culture intitula la série de cinq émissions qu’elle lui consacra, en 2013, « Les vies de Daniel Cordier ». Il est connu, d’abord, pour avoir été le secrétaire de Jean Moulin de juin 1942 à juin 1943, c’est-à-dire jusqu’à l’arrestation de celui qu’il a toujours appelé le « patron ». Il en deviendra le biographe en publiant, notamment, en 1999 La République des catacombes. En 2009, il publie un pavé de 900 pages, Alias Caracalla, écrit à la première personne et racontant sa version de la Résistance. Une sorte de pavé dans la mare mythologique que cette évocation du quotidien, loin des images d’Épinal aux couleurs du « Chant des partisans » : "Quand je suis parti à Londres, je n’avais qu’une obsession : tuer du boche. Or, quatre ans plus tard, à la Libération, je n’en avais toujours pas tué un seul." Et d’évoquer les réunions interminables des responsables de la Résistance intérieure, qui se méfiaient de De Gaulle, d’ailleurs : "Les Allemands occupaient la France. Il fallait être unis, un point c’est tout. Pour nous qui venions d’une armée disciplinée et qui n’obéissions qu’à un seul chef, tout cela était choquant profondément." Alias Caracalla fut adapté pour la télévision en 2013 et contribua à faire connaître Daniel Cordier à un plus large public.

Daniel Cordier, qui devint après la guerre "résolument"» un homme de gauche - et l'est resté -, était donc membre de l’Action française en 1940. Question qui lui est systématiquement posée par les journalistes ou les historiens qui l’interrogent : comment avez-vous pu basculer, en juin 40, dans la Résistance, vous qui étiez militant de l’Action française ? Comme si le fait d’avoir été militant monarchiste à l’époque était synonyme de collaboration ou, tout du moins, antinomique avec la poursuite du combat. N’est-ce pas faire, refaire ou défaire l’Histoire avec le prisme d’aujourd’hui, un prisme qui arrange ? Daniel Cordier, lui-même, semble succomber à ce qu’il est convenu ou convenable de croire aujourd’hui comme vérité révélée. Ainsi, lorsqu’en 2014, alors qu’on l’interrogeait sur les propos d’Éric Zemmour rappelant justement que nombre des premiers résistants venaient de l’extrême droite, il minimisa en quelque sorte son appartenance à l’Action française en 1940, qualifiant son engagement de "choix individuel qui n’avait rien à voir avec telle ou telle opinion" et comme "quelque chose de beaucoup plus personnel". Pourtant, c’est bien dans le local de l’Action française de Pau, au lendemain du discours du maréchal Pétain qui annonçait son intention de demander l’armistice aux Allemands, que fut conçu et rédigé un tract par des militants de l’Action française, sous la direction de Daniel Cordier, comme il l’expliqua avec force détails lors d’un colloque à l’université de Paris 1 en 2015. Un tract imprimé à 3.000 exemplaires qui appelait à poursuivre le combat et à sauver l’âme de la France. On n’y parlait pas, à l’époque, des « valeurs de la République »…

Le même jour où était rédigé ce tract – le 18 juin -, à Paris, une militante communiste se présentait au service de presse allemand pour demander l’autorisation de faire paraître L’Humanité. Daniel Cordier n’a jamais été communiste : au nom de la liberté, comme il le déclara dans une interview à L'Obs en 2013.

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03 janvier 2018 à 1:42

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