Dagobert idiot et Saladin bâtisseur de cathédrales : l’Histoire façon Mélenchon

Le 18 juin, Jean-Luc Mélenchon animait « un observatoire politique sur la situation géopolitique au Proche-Orient », dans le X^e arrondissement de Paris. En fait d’animation, un monologue de deux heures avec de douteuses parenthèses historiques.

Une histoire des sciences à l’emporte-pièce…

Avec l’élégance qui est la sienne, Mélenchon a moqué « les Français, là, avec le roi Dagobert qu’a mis sa culotte à l’envers — bon, les autres, ils la mettaient à l’endroit et ils inventaient les maths. Disons qu’il y avait une différence de niveau. » Première imprécision : qui sont « les autres » ? Les Arabes ? Les musulmans ? Ni les uns ni les autres n’ont inventé les mathématiques. S’appuyant sur les connaissances des Grecs et des Indiens, de grands mathématiciens musulmans ont fait progresser la géométrie et l’algèbre, entre le IX^e et le XV^e siècle.

En conférence hier sur la situation géopolitique au Proche-Orient, Jean-Luc Mélenchon a déclaré que « le roi Dagobert qui mettait sa culotte à l’envers, bon, les [peuples musulmans] ils la mettaient à l’endroit et ils inventaient les maths. Donc disons qu’il y avait une… pic.twitter.com/3n1SGMdR6i

— Boulevard Voltaire (@BVoltaire) June 19, 2025

Que vient faire le roi Dagobert dans la démonstration ? Jean Tulard n’a pas bâti sa biographie de Napoléon sur la comptine « Napoléon est mort à Sainte-Hélène, son fils Léon lui a crevé le bidon ». Le Bon Roi Dagobert est une chanson antiroyaliste et anticléricale antérieure à la Révolution, elle fait de Dagobert un roi stupide et dépendant des conseils d’un évêque. La chanson visait Louis XVI et l’Église. Sur le fond, saint Eloi était le ministre des Finances d’un roi qui fut loin d’être nul. Qu’on prenne le siècle de Dagobert ou celui de Louis XVI, on voit mal la comparaison possible avec celui de Saladin.

… Et une histoire de l’art à la louche

Doit-on les vitraux de Chartres à Saladin ? Non, selon l'historien de l'art Louis Grodecki.

Mais Mélenchon enchaîne. « C’est l’Orient qui nous a instruits, bah oui. C’est un fait. Et s’il n’y avait pas eu Saladin, vous ne sauriez pas bâtir des cathédraless parce que c’est lui qui vous a appris comment on faisait. Et qui vous a appris comment on faisait des vitraux. » Demandons l’avis d’un historien de l’art. « On ne pense plus, depuis longtemps, que l’origine directe du vitrail occidental soit en Orient », écrivait Louis Grodecki (1910-1982). Les vitraux remontent à l’Antiquité et le perfectionnement qu’ils ont connu est 100 % occidental.

Et les cathédrales ? Elles s’inscrivent dans une longue tradition architecturale et technique venue des Romains, passée par les stades mérovingiens, carolingiens, préromanes, romanes, gothiques… Cette tradition a été fortement nourrie par l’Orient, mais l’Orient chrétien : Syrie et, plus que tout, Arménie. L’influence islamique ne s’est manifestée qu’à la marge. Saladin est né en 1138, soit soixante ans après Suger, bâtisseur de Saint-Denis. Pour s’en tenir à Angoulême : la cathédrale édifiée à partir de 1110 a été précédée par celles des IV^e, VI^e et X^e siècles. Promoteur du djihad, Saladin était un grand chef de guerre et, comme tel, respecté par ses pairs occidentaux. Mais bâtisseur de cathédrales, non.

Sarkozy au Puy-en-Velay

Ces erreurs rappellent un précédent, celui de Nicolas Sarkozy au Puy-en-Velay en mars 2011. Son discours portait « sur le patrimoine historique et les racines chrétiennes de la France » : « Il est difficile de passer devant les antiques portes de cèdre de la cathédrale et leurs inscriptions en langue soufique sans être impressionné et ému de cette rencontre entre la langue de l'islam et l'architecture romane ! » « Langue soufique » était une bourde, puisqu’il n’existe pas de langue soufique et — seconde bourde — il voulait parler des caractères coufiques, sculptés dans la porte.

De plus, cette « rencontre » n’est pas une influence islamique mais un emprunt, par un chrétien occidental qui a rapporté au cœur de l’Auvergne un bout de cet Orient qui faisait tant rêver nos ancêtres. « Le phénomène est isolé, écrivait le spécialiste H. Focillon (1881-1943), il n’en est que plus saisissant, dans son cadre géologique qui lui compose un paysage légendaire » (Moyen Âge roman et gothique, Livre de poche). On est loin du multiculturalisme survendu.

« Une différence de niveau »

Comme le dit crûment Mélenchon : « Disons qu’il y avait une différence de niveau » — entre une culture musulmane raffinée et une sous-culture occidentale arriérée. On a voulu nous faire croire que toutes les civilisations se valent, mais ça n’était qu’une étape. Au bout du processus, la civilisation chrétienne occidentale se doit d’être inférieure, de ne devoir son peu de culture qu’à « l’Autre ». Cet ethno-masochisme n’existe qu’au prix de grotesques travestissements de l’Histoire.

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