La question n’est pas rhétorique. Le barreau est le fidèle reflet des mouvements qui agitent la société française. Son recrutement, dont on a souvent dit dans ces colonnes qu’il posait un double problème de nombre et de qualité, l’expose à des revendications communautaires. Et l’islam y figure en bonne place. S’il était exceptionnel, il y a trente ans, de rencontrer un avocat d’origine nord-africaine, c’est désormais banal. Ce qui, en soi, n’a aucun caractère problématique. Sauf quand la religion s’en mêle.

En décembre 2018, lors de la prestation de serment d’une promotion de jeunes avocats, l’une d’entre elles s’est présentée voilée. Malaise… Aucun texte ne l’interdisant, et la demoiselle ayant dédaigné les avertissements paternels de son bâtonnier ainsi que les conseils du premier président de la Cour, il n’a pas été possible de le lui interdire.

Le Conseil de l’ordre des avocats de Lille a donc pris une délibération aux termes de laquelle « l’avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ». Soit un spectre suffisamment large pour noyer le poisson islamique dans l’océan des convictions diverses. Et, au passage, incluant les décorations : de quoi faire soupirer ceux dont la double barrette rouge et bleue couronne des décennies de cirage de pompes et de carriérisme dans les institutions nationales.

La cour d’appel de Douai, saisie par un certain Mehdi Ziatt, a validé cette délibération. « La volonté d’un barreau, représenté par son conseil de l’ordre, de faire obligation à ses membres, lorsqu’ils se présentent devant une juridiction, pour assister ou représenter un justiciable, de revêtir un costume uniforme, concourt à assurer l’égalité des avocats et à travers celle-ci l’égalité des justiciables, qui est un élément constitutif au droit au procès équitable. »

L’affaire révèle plusieurs problèmes. Le premier est la volonté de l’islam politique de coloniser les institutions, ici judiciaires, fondées sur une tradition et un droit aux racines profondes. Le voile musulman est aux antipodes de la notion essentielle de liberté de parole reconnue à l’avocat à l’audience. Symbole de soumission à une divinité étrangère à notre culture, il est simplement inacceptable.

Le second, central, est l’incapacité de répondre à une revendication communautariste, justifiée par la liberté individuelle dévoyée. Après tout, « chacun s’habille comme il le souhaite »… Comme d’habitude, il a fallu passer par un texte de portée très générale, qui vise indistinctement tous les signes extérieurs. Or, on ne sache pas que d’autres confessions manifestent leur appartenance de manière ostensible, que les francs-maçons le fassent publiquement, ou qu’il soit anormal qu’une personne décorée ne puisse arborer la barrette, ce qui se fait depuis deux siècles sans que personne y trouve à redire.

Enfin, le droit est muet sur la question. On touche là la question première. La sainte laïcité n’est d’aucun secours, puisque la revendication est vestimentaire et fondée sur la liberté individuelle. Peut-on envisager un texte de portée générale qui prohibe le port de tenues traditionnellement rattachées à la tradition musulmane ? En l’état actuel, c’est impossible : juridiquement, la Constitution et la Déclaration européenne des droits de l’homme l’interdisent. Politiquement, c’est allumer une mèche dans les banlieues.

Reste qu’il faudra bien, un jour, affirmer dans notre loi fondamentale que la France respecte la liberté de conscience et, en même temps, reconnaît ses racines grecques, romaines, germaniques et chrétiennes, qui fondent sa culture, son droit et ses institutions.

Ce n’est pas demain la veille. D’ici là, bonnes contorsions sémantiques !

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11 juillet 2020 à 18:00

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