Clash Luc Ferry – Cédric Villani : de la supériorité de la philo sur les maths ?

M. Ferry, philosophe et ancien ministre de l’Éducation, a affirmé par provocation que les maths ne lui avaient jamais servi dans la vie courante. Alors qu’on lui rétorquait que calculer était utile pour faire ses courses, il a prétendu qu’il suffisait alors d’utiliser une calculette. M. Villani, médaille Fields (qui sert de prix Nobel aux mathématiques), député LREM et auteur d’un rapport sur l’enseignement des mathématiques, lui a répondu que les raisonnements étaient la partie la plus importante de la démarche mathématique et que les plus beaux pouvaient provoquer « un orgasme » !

Mais M. Ferry a raison : seuls quelques théorèmes (Thalès, Pythagore) sont (rarement !) utiles dans la vie courante. Cependant, plutôt que de sortir sa calculette, il vaut mieux, à mon avis, être capable d’effectuer des calculs de tête afin d’avoir une idée juste des prix lorsqu’on fait son marché. Et d’autres matières ne servent pas non plus (sciences naturelles, philo, histoire, littérature…), alors que l’orthographe et les langues vivantes sont indispensables.

Seuls des matheux de haut niveau sont capables d’apprécier la « beauté » d’une démonstration, de la même façon qu’un mélomane apprécie un concerto. Néanmoins, ce plaisir est spécial et se rapproche de l’onanisme intellectuel. En revanche, les maths sont des instruments efficaces et des auxiliaires indispensables dans d’autres domaines. Contrairement à ce que certains voulaient faire croire, la physique ne peut se passer d’équations. On cherche, depuis longtemps, à relier la relativité et la mécanique quantique et toutes les solutions proposées sont des théories mathématiques compliquées. De même, on se sert des propriétés des groupes - une partie ésotérique des maths - pour classifier les particules élémentaires et éliminer celles qui ne peuvent exister ; ces recherches permettront, peut-être, de trouver de nouvelles sources d’énergie. Les maths servent également en économie et sont essentielles dans les assurances et dans la finance. Les groupes sont aussi utilisés en ethnologie, en chimie. Leurs propriétés permettent, par exemple, de classer les cristaux et d’éliminer certaines combinaisons impossibles. Enfin, le raisonnement mathématique est formateur en lui-même pour des esprits scientifiques, et aucune autre matière n’égale sa rigueur intellectuelle (mais je ne suis sans doute pas objectif, vu mon métier).

Mais les maths (pas le calcul !) ne doivent être réservées qu’à une partie des étudiants, non par élitisme, mais parce qu’il faut avoir un « don » pour l’abstraction et tout le monde ne l’a pas. Bien sûr, le travail permet de progresser comme dans un sport de haut niveau. Tout le monde ne peut pas porter les couleurs de la France aux Jeux olympiques, mais personne ne devient un champion sans un entraînement de fer. Il n’y a aucune honte à ne pas être doué en maths. Les littéraires sont utiles et font souvent d’excellents cadres. On a tous un domaine de prédilection et il faut cultiver soigneusement ce dernier.

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Christian de Moliner
Professeur agrégé et écrivain

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