Cinéma : « Marie-Line et son juge », charme et détresse de la France d’en bas

© Caroline Bottaro
© Caroline Bottaro

Longtemps, le cinéma français s’est intéressé aux plus modestes de nos compatriotes, comme en témoignent des fresques ouvriéristes telles que Des gens sans importance, d’Henri Verneuil, ou Gas-oil, de Gilles Grangier, toutes deux tournées en 1955. Puis, notre cinéma se fit plus bourgeois, se concentrant sur le spleen pompidolo-giscardien de la classe moyenne, de Claude Sautet et son Vincent, François, Paul et les autres (1974) à Un Éléphant, ça trompe énormément, d’Yves Robert, tourné deux ans plus tard. Les exclus à venir, c’étaient eux.

Dans les décennies suivantes, c’est la figure du même exclu qui est mise à l’honneur, sauf qu’il s’agit désormais de la figure du marginal paré de toute les vertus, avec Sans toit ni loi, d’Agnès Varda (1985), ou Les Nuits fauves, de Cyril Collard (1992). Et les gens de peu, dans tout cela ? Rien, ou si peu. Pourtant, un an avant, Gérard Jugnot, figure emblématique du beauf rondouillard à moustaches, signe un film en forme de manifeste, Une époque formidable. Soit la descente aux enfers du cadre d’une petite entreprise qui, touché par le chômage, se retrouve à la rue.

Le renouveau du cinéma populiste

Aujourd’hui, ce cinéma populiste, en ce sens où il dépeint la vie quotidienne du peuple, ses souffrances et ses aspirations, commence à reprendre du poil de la bête, souvent à rebours de la critique parisienne, obligée de constater son succès tout en le déplorant à voix plus ou moins basse. La preuve par ces quatre films consacrés à la famille Tuche, véritable succès : 21,6 millions d’entrées cumulées, ce n’est pas rien. D’ailleurs, ces fameux « Tuche » furent même l’un des cris de ralliement des gilets jaunes sur les ronds-points. Pourtant, Marie-Line et son juge, de Jean-Pierre Améris, participe d’un registre autrement moins farceur. Nous sommes au Havre. Marie-Line, interprétée par la chanteuse Louane, cheveux roses et bras couverts de tatouages, est serveuse dans un bar. Elle s’occupe de son père, ancien docker estropié par un accident du travail.

Mais, toujours joyeuse, jamais elle ne pleurniche. Las, une séparation amoureuse houleuse lui vaut quelques mois de prison avec sursis : elle a fracassé les vertèbres de son ancien soupirant, comme quoi les femmes ne sont pas que de petites choses fragiles. En liberté conditionnelle et au chômage, elle est alors prise sous l’aile de Michel Blanc, le juge qui vient précisément de la juger. Alcoolique, brisé par la mort de sa femme et de l’enfant qu’elle portait, il survit plus qu’il ne vit, ne trouvant le réconfort qu’auprès d’une femme, elle aussi condamnée pour avoir tué un mari violent.

À quoi croire et à qui faire confiance, après tant de tragédies ? Marie-Line a certes une grande sœur, lesbienne invétérée et perdue dans les paradis artificiels et leur trafic, qui lui promet monts et merveilles, une vie de rêve en Espagne, là où le négoce de stupéfiants paraît si facile. Mais notre héroïne du quotidien résiste. Déjà perdue, Marie-Line refuse de se perdre davantage.

Cette France qui souffre mais jamais ne se plaint

Déjà, Marie-Line a mieux à faire. D’abord comprendre que le gandin dont elle a esquinté la nuque n’est jamais qu’un petit-bourgeois velléitaire, toujours prompt à l’enfoncer en raison de son inculture. Puis rendre le sourire à son bienfaiteur, ce juge pas tout à fait comme les autres, pour lequel le cinéaste Jean-Pierre Alméris affirme s’être inspiré « d’un dessin de Sempé, un homme avec son imperméable, son cartable et son parapluie ».

On n’en dira pas plus, afin de ne point trop déflorer l’histoire. Mais au moins apprendrons-nous que cette France, loin de la vulgarité sarkozyste (travailler plus pour gagner plus), veut simplement vivre debout, qu’elle souffre mais jamais ne se plaint. Une belle leçon de dignité transparaît à chaque instant dans le jeu magique des acteurs. Chez Michel Blanc, il y a évidemment le métier ; mais également le passé, celui d’une famille pauvre et aimante. Chez Louane, Anne Peichert de son vrai nom, la grâce pallie l’inexpérience. Elle doit aussi puiser dans son enfance, on imagine : issue d’une famille modeste et recomposée mais de tradition catholique, elle s’est élevée à la seule force de son énergie, de radios-crochets en révélation sur grand écran, dans La Famille Bélier (2014), d’Éric Lartigau, film lui aussi consacré à la France des invisibles, celle des paysans. Notons encore que Louane, actrice et chanteuse des plus discrètes, est née à Hénin-Beaumont. Ça ne s’invente pas.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

5 commentaires

  1. Pour ne pas être à la « traine » du cinéma wokiste américain, on essaie par toutes les facettes de la société de se montrer à la hauteur, alors si c’est tout ce que nous offre le « 7eme art » , verser quelques larmes pitoyables sur une histoire hors du champ du réel , l’imaginaire des scénaristes semble très limité, mais complaisant avec cette mouvance « éclairée ».

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