Cinéma : Les Filles du docteur March, de Greta Gerwig

Quatre filles du docteur March 2020-01-10 à 10.07.31

Célèbre roman féminin paru en deux volumes entre 1868 et 1869, Little Women, de Louisa May Alcott, en est aujourd’hui à sa cinquième adaptation au cinéma. Réalisé par Greta Gerwig, Les Filles du docteur March narre, en plein contexte de guerre de Sécession, l’histoire de quatre sœurs du Massachusetts faisant chacune à sa manière l’apprentissage de la vie, entre amours, ambitions et difficultés du quotidien, en l’absence de leur père parti rejoindre l’Union en tant qu’aumônier. Au sein du quatuor, Josephine – dont le parcours semble directement faire écho à celui de Louisa May Alcott – rêve de prendre son envol et de devenir auteur de romans. Prenant alors pour sujet d’écriture sa propre famille et son entourage proche, la jeune femme occupe naturellement le devant de la scène et nous raconte à travers son prisme personnel les joies et malheurs de tout son petit monde.

Si, à l’instar des adaptations précédentes, celle de Greta Gerwig tient compte des deux volumes, la cinéaste, par souci d’originalité, renonce à la narration chronologique habituelle et choisit, au contraire, de jouer sur les deux temporalités : l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte. Une fausse bonne idée qui, de par la multiplicité des personnages, tend à perdre le spectateur au fil du récit. D’autant que les transitions d’une époque à une autre sont loin d’être explicitées par le montage, la mise en scène ou la musique. Mal employée, intrusive, cette dernière ne nous laisse aucun répit et altère même la puissance dramatique des passages les plus intimistes.

Florence Pugh, du haut de ses 24 ans, a par ailleurs pour gâteau empoisonné d’incarner Amy, la plus jeune des quatre sœurs, de ses douze ans jusqu’à l’âge adulte. La comédienne est ainsi réduite à surjouer les caprices de l’enfance dans un corps qui accuse largement la vingtaine…

Hormis ses maladresses artistiques, qui créent de la distance et brident de facto toute implication émotionnelle de la part du spectateur, le film de Greta Gerwig pèche par ses ambitions modernisatrices, par sa volonté exaspérante de refléter à tout prix les préoccupations de l’époque actuelle. La réalisatrice a, en effet, entrepris de réécrire la fin de l’histoire, de laisser Jo March célibataire et de la faire renoncer au mariage que lui assurait pourtant le roman d’origine. Cela, conformément – dit-elle en interview – à ce qu’aurait secrètement voulu Louisa May Alcott.

Il est toujours tentant de faire parler les morts, surtout lorsqu’il s’agit d’obtenir leur suffrage…

On l’aura compris, l’émancipation réelle de la femme, d’après Gerwig, passe par le refus du mariage, le refus de l’enfantement, de l’engagement relationnel et des responsabilités qui l’accompagnent. Autant de freins inacceptables, dans une société moderne et hédoniste, à l’épanouissement individuel… Hélas pour la cinéaste, le destin d’Amy contredit en tous points le propos qu’elle tient à travers le personnage de Jo.
« Il fallait absolument, affirme Greta Gerwig, que je me détache de ce qui avait été fait avant et que je me raccroche à des souvenirs, à des expériences connues et des messages que je voulais transmettre. »

Sans doute aurions-nous pu nous passer desdits messages…

Pour notre part, le chef-d’œuvre réalisé par Gillian Armstrong, en 1994, avec Winona Ryder, Claire Danes, Kirsten Dunst, Susan Sarandon, Gabriel Byrne et Christian Bale demeure, encore à ce jour, inégalé, tant dans son casting, dans sa direction d’acteurs, dans ses dialogues, dans sa mise en scène et dans ses choix musicaux que dans la pudeur de sa démarche…

2 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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