Chute de Kaboul : Quand les Turcs ont peur de l’immigration afghane…

frontière turco-iranienne

De manière plus que prévisible, le match est plié et les talibans sont les nouveaux maîtres de l’Afghanistan. Enfin, pour être plus précis, ces Pachtounes, ethnie majoritaire, qui viennent de reprendre cette place qu’ils estiment, de toute éternité, être leur, une fois les envahisseurs chassés du pays. Dès lors, la politique reprend ses droits.

De longue date, les Chinois ont anticipé le changement de régime. Les Russes ont déjà un pied dans la porte, tout en riant sous cape des déboires américains. Aux USA, toujours, Donald Trump ricane aussi, sur Fox News : « J’ai demandé pourquoi les soldats afghans combattaient les talibans. Différentes personnes m’ont communiqué une information horrible : ils touchaient la plus grande solde au monde. Ils le faisaient au nom de cette solde. Dès que nous avons cessé de les payer, dès que nous sommes partis, ils ont cessé de se battre. […] Nous avons dépensé 42 milliards de dollars par an. Réfléchissez, 42 milliards. À ce que je sais, la Russie dépense 50 milliards par an pour l’ensemble de son armée. »

Et puis, évidemment, il y a la Turquie et Mevlüt Çavuşoğlu, son ministre des Affaires étrangères, qui déclare : « Nous accueillons de manière positive les messages envoyés jusqu’à présent par les talibans, que ce soit aux étrangers et aux représentations diplomatiques, mais aussi à leur propre peuple. » Il est vrai que ces talibans ne sont plus exactement ceux qui prirent le pouvoir à Kaboul, en 1996. Une génération est, depuis, passée. Qui s’est aguerrie, non seulement au combat - la preuve par leur récent Blitzkrieg - mais aussi à la communication mondialisée, et sait mieux que la précédente que la pérennité de leur pouvoir tient encore en grande partie de l’aide internationale.

Parler, ils savent donc ; mais n’en ont pas oublié à compter pour autant. Jusqu’ici, leur budget était assuré par les taxes prélevées à leurs frontières (à peu près 30 %), soit une rente de trois milliards de dollars par an. Puis un impôt de 2,5 % sur les revenus et de 10 % sur les récoltes. Ensuite, l’opium, dont la culture avait été interdite par les talibans à l’ancienne et désormais remise à l’honneur par leurs enfants : soit un pactole délicat à chiffrer, mais estimé entre 400 millions et deux milliards d’euros annuels. Cela suffira-t-il à faire tourner ce nouvel État ? Rien n’est moins sûr, sachant surtout que les dix milliards de dollars de la Banque centrale afghane placés à l’étranger sont désormais gelés.

Bien sûr, il y a encore les dons discrets de tels ou tels États et autres organisations islamiques. Mais ces derniers étaient dépensés pour que les talibans parviennent au pouvoir. Le seront-ils encore pour les aider à s’y maintenir ? Là est toute la question. D’où les annonces faites par Zabiullah Mujahid, porte-parole des mêmes talibans, assurant, lors d’une conférence de presse tenue le mardi 17 août, que « les adversaires seront pardonnés et qu’une amnistie sera décrétée », concernant même « les Afghans ayant travaillé pour les Occidentaux ». Quant aux femmes, elles devraient pouvoir continuer « à étudier et travailler », le port de la burqa devenant, au passage, facultatif.

Voilà pour rassurer les Occidentaux. Mais ce qui préoccupe les Turcs plus haut évoqués, c’est l’immigration – un peu comme Emmanuel Macron en France. Logique, quand on sait que l’immigration afghane est en passe de déstabiliser une Turquie hébergeant déjà plus de 3,6 millions d’étrangers. Ce qui explique pourquoi Ankara est en train d’ériger un mur a priori infranchissable entre ses frontières et celles de l’Afghanistan. Kemal Kılıçdaroğlu, président du très kémaliste CHP (Parti républicain du peuple), promet déjà, s’il parvient à remplacer le président Erdoğan, de « renvoyer les Syriens dans leurs pays ».

Autant dire que devant ce paysage plus qu’énervé, les talibans ne peuvent que donner des gages. Il en va ainsi de la realpolitik, matière en laquelle la diplomatie française n’est pas championne, c’est le moins qu’on puisse dire.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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