Les catholiques ne devraient pas se réjouir de la loi Travail
Depuis près d’un an, les catholiques français semblent se convertir aux thèses économiques les plus libérales. Aux primaires de la droite et du centre, cet électorat a soutenu massivement François Fillon, reléguant Jean-Frédéric Poisson, candidat du Parti chrétien-démocrate, à moins de 1,5 %. Les militants de Sens commun ont donc préféré l’ultralibéralisme assumé de Fillon (inspiré par la très protestante Margaret Thatcher) à l’approche catholique-sociale de M. Poisson. Rappelons que M. Fillon préconisait la suppression d’un demi-million de fonctionnaires et une réduction du périmètre de la Sécurité sociale au profit d’assurances privées.
Au second tour de la présidentielle, beaucoup de catholiques ont voté pour le libertaire Emmanuel Macron. En effet, son programme économique était en adéquation avec cet électorat. Les positionnements sociétaux (Marine Le Pen voulant abroger la loi Taubira et Emmanuel Macron défendant la « PMA pour toutes ») n’ont joué qu’un rôle négligeable dans la décision des catholiques. Aujourd’hui, les militants de la « droite hors les murs », qui revendiquent une catholicité de combat, se réjouissent de la loi Travail proposée par le duo Macron/Philippe. Celle-ci facilite les licenciements (notamment pour les firmes transnationales) et les emplois précaires (extension des contrats de mission).
Cette orientation économique est pour le moins paradoxale car, depuis le XIXe siècle, l’Église n’a eu de cesse de condamner le libéralisme. Cette condamnation a donné lieu à d’innombrables prises de positions papales. Des encycliques telles Mirari vos (1832), Quanta cura (1864) ou Libertas praestantissimum (1888) ont précisé les motifs de cette condamnation. L’Église dénonce l’utilitarisme et l’individualisme, qui sont les fondements du libéralisme économique. Elle rejette, par exemple, l’idée selon laquelle la recherche du profit individuel contribue automatiquement à l’intérêt général. De la même manière, l’Église conteste les bienfaits de la concurrence « libre et non faussée » : la lutte économique de tous contre tous ne peut engendrer que le chaos social. L’Homo œconomicus, qui sert de figure théorique à de nombreux libéraux, est un individu égocentré, déraciné et matérialiste aux antipodes de la conception chrétienne. La finance mondialisée, où se pratique l’idolâtrie du profit, fait le lit de « l’impérialisme international de l’argent » et banalise la cupidité. En plus d’être incompatible avec la doctrine catholique, le libéralisme est accusé de favoriser, par son injustice et ses excès, la diffusion du marxisme parmi la classe ouvrière paupérisée.
En réponse aux penseurs libéraux, le pape Léon XIII a publié, en 1891, l’encyclique Rerum novarum qui trace les contours de la "doctrine sociale de l’Église". Ce document dénonce l’intolérable condition ouvrière, les abus du capitalisme et "le faux remède" du socialisme. L’encyclique rappelle que les patrons ont des devoirs envers leurs employés : contrairement à ce qu’affirme la philosophie libérale, la propriété privée n’est pas un absolu. L’État, considéré comme le gardien du "bien commun" face à l’égoïsme et à la cupidité, y a un rôle déterminant, tout comme les "corporations ouvrières" (syndicats et organisations professionnelles). Depuis Rerum novarum, l’Église a régulièrement complété sa doctrine sociale en fonction du contexte (par exemple, l’encyclique Quadragesimo anno, en 1931, se veut une réponse à la Grande Dépression).
Les catholiques français qui voient dans le libéralisme un remède aux dérives de la gauche socialo-communiste méconnaissent manifestement les enseignements de l’Église à ce sujet. Cet électorat pourrait mettre en accord sa catholicité et ses options économiques en lisant le compendium publié en 2004 par le Vatican. En effet, les catholiques, s’ils sont cohérents et honnêtes, doivent s’opposer au libéralisme et défendre la doctrine sociale de l’Église.
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