Bouteflika : que tout change pour que rien ne change…

Au terme de cinq semaines de manifestations, le pouvoir algérien a fini par prendre la mesure de la situation. D’où l’initiative du général Ahmed Gaïd Salah d’en appeler à l’article 102 de la Constitution, permettant d’assurer une sorte de transition quand le président se trouve dans l’impossibilité de gouverner ; en cas de grave maladie, par exemple. D’un point de vue factuel, c’est le cas.

Interrogé par franceinfo, Omar Belhouchet, directeur de la publication du quotidien El Watan – un peu l’équivalent local de notre Monde, en à peine moins corseté –, surjoue la surprise : « On ne s’y attendait vraiment pas… [Sans blague ? NDLR] On savait que l’armée, ces deux dernières semaines, avait pris ses distances avec le président Bouteflika, [Où va-t-il chercher tout ça ? On se le demande… NDLR] mais on ne pensait pas qu’aujourd’hui, il y aurait une telle déclaration publique pour demander à ce que le Conseil constitutionnel tranche sur la capacité ou non du président actuel à pouvoir gouverner. »

Avec Omar Belhouchet, on tient le spécimen de l’homme prêt à toutes les reptations de cour, à tous les étonnements d’enfant, pour peu que cela puisse le maintenir en fonction dans le probable gouvernement à venir. Un homme qui mériterait d’être un jour mis sous globe, entre Alain Duhamel et Jean-Pierre Elkabbach, pour ne citer que ces seuls exemples de caméléonisme politicien. En effet, il suffisait de lire Boulevard Voltaire (Bouteflika : reculer pour mieux sauter ? En espérant que l'Algérie ne saute pas...) pour savoir, avant même El Watan, que l’État profond algérien, pour se succéder à lui-même, n’avait finalement d’autre choix que de sacrifier un pion de plus en plus voyant et de moins en moins utile. Car telle est la logique de ce système, similaire en tous points, en son instinct de survie, à ses homologues syriens ou égyptiens (Algérie : ce qui se cache derrière la crise).

Au siècle dernier, la junte au pouvoir en Algérie, pour répondre aux légitimes aspirations populaires, alors portées par des mouvements « islamistes », qu’ils soient issus du salafisme de combat ou de cet intellectualisme politico-coranique propre aux Frères musulmans, a choisi l’emprisonnement de ces trublions, au prix de la sanglante guerre civile qu’on sait. Ce fusil, évidemment, était à un coup, tant il est aujourd’hui délicat pour cette camarilla, tant galonnée que corrompue, de rejouer à l’Occident cette même comédie consistant à assurer que le FLN serait l’ultime rempart contre la barbarie mahométane ; contre espèces sonnantes et trébuchantes, comme d’habitude et tel qu’il se doit.

Il faut donc à cet État profond, concentrant en ses mains l’essentiel de l’appareil politico-économique algérien, trouver une porte de sortie honorable. Pas facile… L’opposition islamique est discréditée pour les décennies à venir et les rares représentants de ce courant s’étant risqués dans les manifestations en ont été éjectés, sous l’œil goguenard des forces de l’ordre ; ou, plutôt, du désordre établi, en la circonstance. Et comme il n’existe pas non plus d’opposition « démocratique », selon les canons occidentaux, pour servir de plan B, le pouvoir en place n’avait donc d’autre choix que de se débarrasser d’un Abdelaziz Bouteflika qui, de toutes manières, ne régnait plus depuis des années.

Il fallait donc que tout change en surface pour que rien ne bouge de l’intérieur. En attendant, tout cela se fait dans une relative quiétude, la maréchaussée algérienne ayant manifestement la main moins lourde que son homologue française. Reste à savoir si les clans au pouvoir sauront s’entendre afin d’éviter le pire. Là est toute la question.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 16:33.
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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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