Au tribunal : « Arnaud Beltrame est un héros, sa femme est un ange »

Arnaud Beltrame

Remonter le fil du temps. Revenir au 23 mars 2018, jour où la vie des victimes et de leurs proches, appelés à témoigner ce 26 janvier devant la cour d’assises spéciale, a basculé. Un à un, les survivants et proches des victimes des attentats de Trèbes et Carcassonne se remémorent cette journée où ils ont croisé la route de Radouane Lakdim.

Des vies chamboulées

Renato Silva, est le premier à avoir fait face au terroriste. Parti fumer une cigarette sur le parking des Aigles, où « la vue sur Carcassonne est magnifique », il se retrouve nez à nez avec le terroriste. En quelques secondes, son destin bascule. Le jeune homme, à l’époque âgé de 25 ans, échange quelques mots avec cet individu qu’il ne connait pas, se retourne, aperçoit « Monsieur Mazières » et, soudain, le trou noir. « Ça a duré 30 secondes, et j’ai pris une balle », résume-t-il avec émotion devant le tribunal. Alors qu’il reprend connaissance, il voit Jean-Michel Mazières, couché à ses côtés, mort. Son premier réflexe est d’appeler sa mère. Il tente ensuite de prévenir l’hôpital de la ville sans réussir à donner précisément sa localisation. Blessé à la tête, il attendra près de 2 heures 30, sur ce parking, que les secours viennent le sauver. Les lèvres serrées, la voix nouée, Renato énumère devant la cour les séquelles qu’il subit au quotidien depuis ce terrible jour de mars 2018. Perte de la vue d’un œil, surdité d’une oreille, présence d’une balle dans la tête, perte d’équilibre, troubles de la mémoire, troubles du sommeil, hypervigilance… « La peur est toujours là, ça fait six ans quelle est là. Elle sera toujours là », ajoute-t-il. Mais Renato, qui se considère comme un « miraculé », souhaite surtout que « cette histoire se termine pour reprendre sa vie », sa « deuxième vie ».

Une chance qui n’aura pas été laissée à Jean-Michel (dit Jean) Mazières, abattu d’une balle dans la tempe par le terroriste. Ce père de famille et grand-père « aimant », vigneron « bon vivant », homme « tranquille », aurait eu, comme le souligne le président du tribunal, « le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment ». Il laisse derrière lui une épouse, Martine, venue témoigner à la barre la voix tremblante, un fils handicapé Vincent et un beau-fils et une belle-fille. Ce 28 mars 2018, Martine vit un véritable calvaire, cherchant son mari désespérément. Ce n’est qu'à 17 heures qu’elle apprend le drame. Aujourd’hui, à Paris, elle clame : « Je voudrais comprendre : pourquoi s’acharner sur des gens qui voulaient être heureux ? » Un sentiment partagé par son fils qui réclame « le max » pour les accusés.

Après son passage mortifère sur le parking de la cité des Aigles, Radouane Lakdim vole la voiture de Renato et prend la direction de Trèbes. Sur son chemin, le terroriste croise quatre hommes qui terminent leur footing. « J’attendais de revenir au portail [de la caserne] pour reprendre mon souffle », se souvient Frédéric, ancien CRS. « J’ai alors entendu une détonation, je pensais que c’est une blague », ajoute-t-il. Mais rapidement, la réalité le frappe de plein fouet. Un autre coup de feu part, Frédéric est blessé. Ce 26 janvier devant la cour, par pudeur, le policier ne s’attarde pas sur sa blessure. Il préfère saluer le courage de son épouse, qui a vécu un « stress important », ce jour-là. Frédéric, qui n’a « pas l’impression d’apprécier la vie » depuis et subit toujours le traumatisme psychologique de l’attaque, tient également à honorer la mémoire d’Arnaud Beltrame. « L’acte du colonel Beltrame est honorable. Il n’a pas appliqué le protocole, c’est la décision qu’il a prise. On ne peut pas lui reprocher le geste. C’est un héros. » Et il conclut, amer : « Les gens qui sont contents [du travail des forces de l’ordre] sont silencieux. Tout ce qu’on entend dans les médias, c’est ce qui ne va pas, que la police est raciste. » La séance est suspendue.

L’après-midi est consacrée aux auditions des victimes du Super U de Trèbes. Dans la salle, le public se masse, plus nombreux. À la barre, Morgane, cliente, aurait pu perdre la vie, ce jour-là. « Par chance, j’avais oublié les oranges », raconte-t-elle. Un oubli qui lui vaut de quitter les caisses, où elle se trouvait, au moment où le terroriste pénètre dans le supermarché. Un oubli qui lui vaut d’être en vie aujourd’hui.

« Marielle Beltrame est un ange »

C’est dans un grand silence que le président du tribunal appelle Julie Grand à la barre. Fébrile, l’otage de Radouane Lakdim s’avance sous le regard bienveillant de son avocat maître Beauregard. L’ancienne employée du Super U prend son temps, pèse chacun de ses mots pour retracer les longues minutes qu’elle a passées seule avec le terroriste, « le petit con », comme elle le surnommait alors. Aux premiers coups de feu, Julie se cache derrière le comptoir d’accueil, espérant passer inaperçue. Mais l’assaillant la repère et l’entraîne dans un petit bureau. Agité, celui-ci lui explique alors être « un soldat de l’État islamique » qui souhaite mourir en martyr. Il demande la libération de Salah Abdeslam, seul survivant du commando du 13 novembre 2015. Sur fond de musique commerciale, dans l’enregistrement audio recueilli par les forces de l’ordre et que le tribunal décide de diffuser, on entend Radouane Lakdim invectiver les forces de l’ordre et prier. Au bout de plusieurs dizaines de minutes, Arnaud Beltrame pénètre dans le supermarché. « Cette femme, elle n'y est pour rien », lâche l’officier, qui propose alors un échange. Grâce au sang-froid et au « professionnalisme » du gendarme, Julie parvient à sortir.

« L’annonce du décès d’Arnaud Beltrame a été très douloureuse », se souvient-elle. Aujourd’hui, plus « apaisée », elle tient à « témoigner pour Arnaud Beltrame » et également pour sa veuve, Marielle Beltrame, absente de l’audience. « J’ai eu beaucoup de chance de rencontrer Marielle Beltrame, son épouse. Elle m’a écrit une très belle lettre dans laquelle elle m’invitait à ne pas culpabiliser. Elle me disait que son mari avait fait son travail et agi selon ses valeurs. » « C’est un ange, une femme d’une extrême dignité qui ne cherche pas la lumière des projecteurs. J’ai un infini respect pour elle », ajoute Julie. Si, six ans après les faits, Julie poursuit sa reconstruction, le chemin reste long. Encore aujourd’hui, elle se « refait des scènes du Super U tous les jours ». Avec ce procès, elle espère « pouvoir passer à autre chose », sans pour autant oublier Arnaud pour qui elle « prie souvent ».

Après plusieurs heures d’audition, restent la dignité et l’émotion des victimes. Et dans la salle des grands procès résonne encore la colère de David Bouchez, employé du Super U, salué pour son courage le jour de l’attentat : « Je suis en colère contre nos chefs. Ils ne font pas ce qu’il faut pour lutter contre ce fléau. »

Clémence de Longraye
Clémence de Longraye
Journaliste à BV

Vos commentaires

25 commentaires

  1. Arnaud Beltrame s’est sacrifié au nom des valeurs qui l’animaient. Quelles valeurs animent nos dirigeants ? J’aimerais bien le savoir, mais je doute que ce soient les mêmes. Ces gens semblent avoir juré la disparition de notre pays et de son peuple. Et ils sont en train de réussir …

  2. La dignité des victimes démontre le fossé qui sépare la culture Française de celles de nos envahisseurs. Non, l’immigration, n’est pas une chance. Non, l’islam n’est pas cette Religion de paix et d’amour qu’on veut nous faire croire. Le silence des imams ou leurs discours en victimisation renforcent cette conviction. Enfin, nos gouvernants sont les complices de ces drames et leurs marches blanches traduisent leur volonté à ne rien changer. Il faut arrêter de dire « plus jamais ça » et continuer à conserver des dirigeants qui ne font rien. La France se couvre de honte en ne conservant à sa tête que des traîtres à sa culture qui ne souhaitent que son effacement.

  3. Les grandes valeurs morales et humaines de cet homme d’honneur s’opposent à la crasse lâcheté l’affairisme électoral et la grande cupidité de nos dirigeants politiques du présent et dans le passé. Tous ces nantis ces bourgeois qui ont été et sont « aux affaires », doivent assumer leur totale responsabilité. Les crimes les assassinats les attentats et l’immense souffrance du peuple Français, leur imputent. Mais nous sommes trop lâches pour oser nous opposer à cette peste que nous réinstallons bêtement. Le sacrifice de ce digne militaire devrait nous inspirer

  4. L’expression suivante souvent formulée ne devrait pas se dire « il ou elle a eu le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment » alors que c’est notre Gouvernement qui est la cause de tous ces drames que les Français subissent depuis très longtemps. Il serait plus honnête et courageux de dire: « si notre Gouvernement savait gouverner, ces barbares ne seraient pas en France pour commettre de telles horreurs ». En conséquence, Il faudrait également que le Gouvernement passe devant la Justice.

    • Entièrement d’accord. Quand on est veule et incompétent, on est systématiquement amené à se défausser sur les autres, voire sur le destin. Cette absence totale de courage et de dignité est conforté et même sublimé par la complicité active des médias de grand chemin qui savent reconnaître l’origine de leur pitance.

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