Annie Ernaux étrille Houellebecq. C’est mesquin, ils ont pourtant des points communs !

CATI CLADERA/EPA-EFE/Shutterstock
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« Il ne suffit pas d'être heureux : il faut encore que les autres ne le soient pas. » Annie Ernaux semble avoir fait sien cet axiome de Jules Renard. Celle qui reçoit, ce 10 décembre, son prix Nobel de littérature - convenons que celui de la paix lui irait fort mal - a confié tout son plaisir… de ne pas le voir attribué à Michel Houellebecq. « Mieux vaut que ce soit moi ! », a-t-elle déclaré tout de go à nos confrères du Parisien :

« Il a des idées totalement réactionnaires, antiféministes, c’est rien de le dire ! » Et, donc, de conclure : « Quitte à avoir une audience avec ce prix, étant donné ses idées délétères, franchement, mieux vaut que ce soit moi ! » On sait les haines d’écrivains farouches : deux normaliens, Anne Boquel et Étienne Kern, en ont même fait un bouquin.

« Elle est bête, elle est lourde, elle est bavarde », disait Baudelaire de George Sand, en un temps où il était encore possible de critiquer une femme, et Victor Hugo appelait Sainte-Beuve « Sainte-Bave ».

Un écrivain « construit sa légende en se posant en rival des gloires de son temps », expliquent finement Anne Boquel et Étienne Kern.

Notre époque ne déroge pas à la règle. Mais il n’est pas très honnête de déguiser sa vanité dans les jolis habits de la moraline.

« J’ai lu son Goncourt, La Carte et le Territoire, mais l’écriture… il n’y en a pas. Alors, il est traduit, parce que c’est extrêmement facile à traduire. » Pardon, mais c’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité : Annie Ernaux n’a-t-elle pas revendiqué elle-même - ne se revendique-t-elle pas encore, dans ce discours prononcé à Stockholm et que Le Monde s'est procuré - « rompre avec le bien-écrire, la belle phrase » ? Bref, l’écriture plate qu’elle reproche à Houellebecq, elle la pratique aussi. Il est vrai qu’il est des tournures de phrase, brutales, qu’elle seule peut s’autoriser : « J'écrirai pour venger ma race » (sic). Quelle race ? Le sexe en serait une ? L’extraction sociale aussi ? On ne sait. Mais gageons que si l’auteur de Soumission, étiqueté aujourd’hui réac jusqu’au trognon, s’essayait à ce genre de fantaisie littéraire, il finirait dans la géhenne de feu médiatique.

Puisque c’est Noël, l’heure de toutes les réconciliations, cherchons ce qui les rapproche plutôt que ce qui les sépare : ils sont tous les deux trash, triviaux et obscènes. Il y a dans leurs œuvres le romantisme d’une passe infligée à une accro du crack par temps de pluie sous une tente Décathlon oubliée par Utopia 56 porte de la Chapelle. C’est d’ailleurs ce qui a permis à Houellebecq de percer dans l’intelligentsia de gauche : un écrivain aussi vulgaire et glauque ne pouvait être tout à fait mal-pensant. Ce n’est qu’après avoir donné des gages de bonne moralité que le filou fait son coming out droitard.

Plus inattendu et jamais relevé… ils ont tous deux décrit à leur façon les apports de notre civilisation. Mais si ! Annie Ernaux est l’exacte contradiction de ce qu’elle entend dénoncer. La France n’est pas le pays de la lutte des classes mais celui de l’ascenseur social, permis par l’éducation, notamment des écoles catholiques. La petite fille modeste sortie de nulle part qu'elle était a découvert chez les bonnes sœurs, certes, le mépris détestable des pimbêches bourgeoises qui étaient en classe avec elle - ce mépris qui a tenu lieu de carburant revanchard à son engagement politique -, mais surtout la littérature française et tous les savoirs. Ils lui ont permis, joints à ses talents propres, d’arriver ce 10 décembre au faîte d’une gloire que les snobinardes d’autrefois ci-dessus citées n'atteindront jamais.

Et quand, dans son livre La Place, elle décrit ses parents pauvres, on y trouve la constatation que « comme la propreté, la religion leur donnait la dignité » : « Le signe de la croix sur le pain, la messe, les Pâques. […] Ils s’habillaient en dimanche, chantaient le credo en même temps que les gros fermiers, mettaient des sous dans le plat. Mon père était enfant de chœur, il aimait accompagner le curé porter le viatique. Tous les hommes se découvraient sur leur passage. » Elle ajoute, plus loin, que le latin était la seule matière dans laquelle ses parents pouvaient l’aider. Car ils le pratiquaient à l’église.

Michel Houellebecq, dans son dernier livre Anéantir, étrillé par la critique de gauche, a-t-il dit autre chose de la dignité - dans la maladie, lui, plutôt que dans la pauvreté - propre au catholicisme ?

Allez. Même vos prénoms fleurant bon la France pompidolienne sont encore un point commun. Faites-vous un gros bisou et n’en parlons plus. Si la désormais riche Annie était grande dame, elle partagerait avec ce pauvre Michel, comme le lui ont appris les religieuses, jadis, ce beau cadeau de Noël, ce prix Nobel de littérature qu’il aurait bien aimé lui aussi décrocher.

Car les écrivains de droite sont tous des gueux dépenaillés droit sortis d’un conte de Charles Dickens : ils n’ont le droit de regarder les prix que dans la vitrine du libraire. Houellebecq a eu raison de bien profiter de son Goncourt tant qu’on le croyait encore du bon côté de la barricade.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

35 commentaires

  1. Encore une qui a oublié d’être modeste, mais c’est normal et dans sa religion: elle de gauche, voire même d’extrême-gauche. Et comme tel, elle détruit tout ce qu’elle touche ou aborde.

  2. Je déteste l’arrogance de la première…
    Le second…ce n’est pas ma bible…
    Avouons cependant que Houellebecq c’est d’un autre niveau que Ernaux.
    CQFD

  3. J’ai tenté de lire Mme Ernaux une fois, impossible d’aller jusqu’au bout, c’est plat, insipide sans intérêt. Trop facile Mme de critiquer les gens de talent, encore faut-il connaître son propre niveau . Il est grand temps pour vous de passer la main.

  4. « Il y a dans leurs œuvres le romantisme d’une passe infligée à une accro du crack par temps de pluie sous une tente Décathlon oubliée par Utopia 56 porte de la Chapelle.  »

    Eh bien je ne suis pas prête de les acheter et de les lire.
    Il est vrai, qu’aimant la lecture, j’ai toujours fait l’impasse sur l’achat de de tous les livres ayant reçu un prix depuis le seul achat (je ne me rappelle plus le nom de l’auteur primé, c’est dire) fait il y a au moins 40 ans! Achat qui m’a dégoûté pour le restant de mes jours de ce de type de lectures.

    • Comme vous, je n’achète jamais les prix littéraires. Je lis énormément, tous les styles et ne me trompe que très rarement dans mes choix.

      • Moi, ce fut plus tard. Après « Les Bienveillantes » de Jonathan Littell, prix Goncourt. Je me suis demandé si les membres de l’Académie Goncourt l’avait lu, ou s’ils étaient tombés sur la tête.

  5. Il est normal qu’un prix Nobel scientifique soit accordé à des personnes non connues du grand public. Mais ce n’est jamais le cas pour celui de littérature Mme Ernaux fait exception. C’est étrange. Elle l’a obtenu par défaut. Elle devrait en effet se taire.

    • Non, ce n’ est pas normal que les scientifiques ne soient pas connus du grand public.
      Et pourquoi devrait on se taire si on a reçu un prix Nobel ?
      Seuls les sportifs, et notamment les footballeurs, doivent avoir droit au chapitre ?

  6. Quelle belle leçon de charité chrétienne vous donnez là Madame Cluzel. C’est toujours un grand plaisir que de vous lire. Je vous souhaite de bonnes fêtes de Noël.

  7. Les deux ont en commun une écriture du niveau maternelle supérieure, mais à ne pas mettre entre les mains des enfants. Pousser la vulgarité à son paroxisme, le tout soupoudré d’un extrême gauchiste décérébré, ne font pas de madame Ernaux un écrivain de qualité, son prix Nobel est un désonnheur à la bonne littérature.

  8. Pas tout à fait d’accord,  » Un écrivain aussi vulgaire et glauque ».  Houellebecq a été, du moins dans ses premiers romans, influencé par les idées de 68, a baigné dans l’atmosphère de cette époque, où il était, on ne dira pas, de bon ton, mais plutôt naturel de relater ses expériences sexuelles avec une certaine crudité. Un romancier se « devait » d’introduire du sexe dans son histoire, comme au cinéma de cette période d’ailleurs. C’était le temps de la libération sexuelle.
    Mais Houellebecq n’est pas que cela, à la différence d’Annie Hernaux il analyse la société avec tous ses errements, ces impasses. Par exemple, il critique la société de consommation « ils mangent, ils mangent. Qu’est-ce que tu veux qu’ils fassent d’autres, dira-t-il dans plateforme. Ou encore, il étrillera le capitalisme qui se transformera en un progressisme financier déjanté : « de tous les systèmes économiques et sociaux, le capitalisme est sans contexte le plus naturel. Cela suffit à indiquer qu’il devra être le pire » (extension du domaine de la lutte)
    À la différence de Hernaux il observe le monde d’un œil tranchant, presque métaphysique, ce monde, notre monde qui s’enfonce dans l’horreur et le désordre, malgré l’allongement de l’espérance de vie – ce leurre qui ne fait qu’étirer les vies ratées, comme les crèmes antivieillissement voudraient étirer les rides. Croissez, multipliez, vivez plus longtemps, traînez sur cette terre. Au terme de votre dégradation, vous finirez par devenir des « particules élémentaires…  »
    L’écrivain dépasse largement en intensité, en vision dramatique de l’univers, Hernaux . Son écriture est faussement plate. Méfions-nous de sa prose, elles renferment beaucoup d’ironie et d’acidité, d’analyse tout en finesse, de poésie et de vision sur l’avenir de l’homme…
    Houellebecq est un véritable écrivain.

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