Réaction d'Alexandre Langlois, secrétaire général du syndicat de police VIGI, après la manifestation des gilets jaunes, le 1er décembre à Paris.


Encore une fois, la manifestation des gilets jaunes a dégénéré sur les Champs-Élysées, mais cette fois de manière extrêmement violente. L’Arc de Triomphe a été tagué et de nombreux dégâts matériels ont été constatés.
Comment cette manifestation a-t-elle été vécue par vos collègues ?

La manifestation a été une fois de plus très mal vécue. Mais nous allons commencer par les points positifs. Et j’en retiendrai deux.
Elle a été un peu mieux vécue que la semaine précédente. Cette fois-ci, la mairie de Paris a eu la délicatesse d’enlever tous ses chantiers en cours qui fournissaient des munitions aux assaillants et délinquants qui attaquaient les forces de l’ordre. Deuxième point, nous avions 5000 collègues mobilisés au lieu de 3000. Le ministère avait dit que nous irions à la confrontation et que nous aurions les moyens de le faire. Ils ont mis les moyens.
Néanmoins, dans les faits, les choses ne se passent pas toujours comme peuvent l’imaginer les gens qui travaillent dans les bureaux.
Il y a eu plusieurs facteurs de complication. Tout d’abord, l’évolution des manifestants n’est pas la même tout au long de la journée. Le matin jusqu’à 18 h, les manifestants sont des gilets jaunes normaux qui sont représentent 80% de la population française et quelques fanatiques de différents bords que nous appellerons simplement délinquants et criminels qui s’en prennent aux forces de l’ordre. Et en fin de journée, les bandes des cités viennent piller les magasins. C’est un tout autre registre. D’ailleurs, c’est à ce moment-là que les plus gros débordements ont eu lieu.
Par ailleurs, nous sommes dirigés par des gens qui travaillent dans des bureaux qui n’ont aucune estime pour nos collègues sur le terrain. Je vous dis cela suite à mon entretien avec la porte-parole de la préfecture de police sur un plateau. Elle a été très méprisante. Je lui ai dit : « nos collègues sont déjà à 13 heures de vacation, c’est le maximum légal d’heures qu’ils peuvent travailler ». Elle m’a répondu : «  ce n’est pas grave, ils sont policiers et vont faire leurs 20 ou 22 heures de vacation ». Quand je lui dis que certains n’avaient pas mangé, elle me répond : « c’est le jeu ».
Quand on travaille 13 heures d’affilée sur des situations très tendues, les soirées ne se passent pas bien. Nos collègues sont écoeurés, car ils soutiennent les revendications des gilets jaunes. Je parle bien des gilets jaunes et non des délinquants et des criminels qui s’en prennent aux forces de l’ordre et aux bâtiments publics. Je parle des manifestants présents sur le front pour défendre leur pouvoir d’achat. Nous les soutenons, car nous sommes impactés par toutes les réformes de notre président actuel. Pour le reste, nous sommes doublement écoeurés, car on doit protéger des personnes qui nous méprisent.


Le syndicat Alliance a demandé l’intervention de l’armée pendant que d’autres syndicats s’opposaient à l’instauration de l’état d’urgence.
Que pensez-vous de ces différentes déclarations de syndicats ?
Où se situe le vôtre ?

Nous avons fait une déclaration pour dire que nous nous opposions à l’instauration de l’état d’urgence. C’est complètement aberrant par rapport à la situation actuelle. Tous les syndicats de police sont unanimes à part ceux affiliés à la CFE-CGC.
Pour le moment, il y a différentes façons de gérer des manifestations. Je rappelle que dans ce domaine, les policiers n’ont aucune initiative. Ce ne sont que des décisions politiques. Soit on y va à la méthode brutale comme ce qui est décidé depuis le début par le gouvernement. Soit on accompagne les manifestants. Et ce que nous préconisons. Partout en France, ça se passe à peu près bien, même si certaines choses sont tolérées sans être forcément légales, par exemple des tractages sur des ronds-points. Il n’y a ni casse ni blessé et le message de fond est entendu.
À Paris, il y a une aberration. La manifestation était statique. Dans ce cas, les gens s’ennuient et ils finissent par décider de passer en force pour aller ici ou là.
Imaginons une autre manœuvre. Les Champs-Élysées sont très grands. On peut imaginer faire un couloir sur le milieu des Champs-Élysées pour éviter les risques de perturbations des passants, des magasins et des riverains. Ils auraient eu un but. Ils auraient marché et tout se serait bien passé. Et comme dans les manifestations contre la loi travail, les groupes de personnes violentes se seraient mis à l’avant. Cela aurait facilité notre travail, et les gens voulant manifester pacifiquement se seraient mis un peu plus en retrait. Cela aurait été plus simple pour le travail de la police.
Nous appelons à des ordres cohérents pour que les manifestations soient accompagnées de façon réfléchie. Plutôt que l’état d’urgence, nous en appelons à la démission du préfet de police et à la démission de monsieur Gibelin, le directeur de l’ordre public et de la circulation de Paris. Il semble, à en croire les coupures de presse depuis plusieurs années qu’il n’a pas brillé par sa compétence dans la gestion des maintiens de l’ordre sur Paris.

Il y a évidemment les manifestations violentes de Paris, mais vous l’avez évoqué, il y a aussi énormément de blocages partout en France.
Pensez-vous que cette manifestation va continuer ou la va-t-elle s’essouffler avec le temps ?

C’est ce que misent comme d’habitude le gouvernement et monsieur Macron. Il a fait la même stratégie dans l’affaire Benalla en espérant qu’elle s’épuise. Finalement elle ne s’est pas épuisée, au contraire cela excite tout le monde.
Lorsque le président s’exprime depuis l’étranger, c’est à chaque fois pour nous dire que nous sommes des Gaulois réfractaires ou des cyniques et nous insulter depuis l’étranger. C’est la dernière chose dont il a parlé à Buenos Aires et c’était pour nous dire : «  je reviens à Paris, vous allez voir ce que vous allez voir ». Ce n’est pas ce que les gens attendent. On parle du nombre de manifestants dans les rues, mais ce que nous regardons, c’est que ce mouvement est soutenu par 80 % de la population. Les gens n’en peuvent plus. Quand on ne peut plus manger à la fin du mois, ce n’est pas un choix que de manifester et de continuer le mouvement. Si on les empêche de manger, ils n’ont plus qu’à descendre dans la rue. C’est ce qui se passe quand les gens qui d’habitude travaillent pour survivre n’y arrivent même plus. Ils n’ont donc pas d’autres choix que de continuer. À l’heure actuelle, les policiers sont également dans cette situation.
Il y a un tel mépris dans les priorités budgétaires. Si plutôt que de payer ce dont les gens ont besoin, on achète de la vaisselle à l’Élysée, je pense que le mouvement va durer.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 04/12/2018 à 18:30.

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03 décembre 2018 à 11:25

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