Alexandre del Valle : « Il y a beaucoup de théâtre dans la campagne de boycott des produits français lancée par les Frères musulmans, il ne faut pas se laisser impressionner ! »

alexandre del valle

Depuis le samedi 24 octobre, et à la suite des déclarations d'Emmanuel Macron sur les caricatures de Mahomet, les appels au boycott des produits français se multiplient dans les pays musulmans.

Au micro de Boulevard Voltaire, Alexandre del Valle analyse les raisons et les enjeux de ces tensions liées à cette question sensible « du blasphème qui permet aux totalitaristes islamistes de justifier l'assassinat d'apostats et de mécréants accusés de comploter contre l'islam ».

 

Emmanuel Macron a annoncé qu’il ne renoncerait pas aux caricatures. Suite à cela, de nombreux pays arabes s’en sont pris très violemment à la France. Macron a-t-il eu raison d’assumer ces caricatures ? D’où viennent ces réactions des pays arabes ?

Soit, on soutient les caricatures comme il l’a fait pour la commémoration et ensuite, il n’a pas le choix de continuer. Soit, s’il avait fait une commémoration sans insister sur la nécessité de soutenir d’autres caricatures, cela aurait été plus facile de ne pas être dans la stratégie, qui paraît provocatrice pour les Frères musulmans, qui est celle de soutenir les caricatures. Comme sa stratégie a été de dire «  si on cède, ils demanderont autre chose la prochaine fois », ils veulent nous faire plier, mais on ne plie pas. Il était donc obligé de continuer.
Stratégiquement, il était impossible de faire marche arrière. Si le jour de la commémoration, il dit «  on ne cédera jamais, on continuera à soutenir les caricatures » et que trois jours plus tard suite à des menaces de mort, des manifestations ou des insultes de Erdogan, il dit «  on ne soutient plus les caricatures », c’est impossible. L’homme le plus modéré, le plus macronien, même un Trudeau ne pourrait pas faire cela. Ce n’est même pas concevable !
Il est un peu prisonnier de cette parole très forte qui a soutenu ostensiblement les caricatures. C’est une histoire qui n’en finit plus depuis 2004.
Rappelez-vous l’affaire Asia Bibi, l’accusation de blasphème est une logique permanente qui permet au totalitarisme islamiste de justifier l’assassinat de supposés apostats accusés de blasphème donc de facto apostat. De mécréants accusés de comploter contre l’islam. De juifs, de chrétiens, de païens et d’athées. C’est un rapport de force. Je dirais que c’est l’un des carburants de l’islamisme et même du totalitarisme islamiste en général. Malheureusement, ce totalitarisme islamiste n’est pas représenté que par des djihadistes.
Suite aux propos de Macron, les 57 pays de l’Organisation de la conférence islamique, la plus grande université islamique du monde, les plus hautes instances islamiques internationales comme l’OCI ont soutenu l’idée que le blasphème devait être interdit et que l’agression première c’est le blasphème pour qu’en quelque sorte, exonérer les djihadistes. Ils ont dit que c’était un crime odieux. Mais il n’empêche qu’à chaque fois, il y a ce fameux, mais. Les plus hautes instances islamiques, et pas uniquement les islamistes, ont soutenu l’idée que la seule solution pour calmer les djihadistes serait de céder et de ne plus permettre la critique et la moquerie envers l’islam. Cela serait une victoire pour le totalitarisme islamiste.

Pourquoi le Maroc s’en est-il mêlé ?

Cela permet de faire tomber les masques.
Premièrement, c’est le premier producteur mondial de haschich. C’est un narco-État et un État de blanchiment. C’est un État extrêmement corrompu.
Deuxièmement, les Frères musulmans ont pris le pouvoir dans ce pays en partie depuis le printemps arabe. Ils sont associés au pouvoir. Ils ont énormément fait évoluer le pays vers l’islamisme au niveau de la société, même si le roi est plutôt contre l’islamisme.
Troisièmement, ce pays pratique un double jeu. Il a de très bonnes relations avec le Qatar. Ce pays a l’air modéré, tout est permis et beaucoup de choses sont tolérées. Ce pays est schizophrène. Il tolère la prostitution, la drogue et la corruption.
De l’autre côté, ce pays est depuis toujours, d’accord avec les pays les plus conservateurs. Il est très actif au sein des grandes institutions islamiques mondiales comme l’OCI ou la ligue islamique mondiale. Ce pays interdit toutes libertés réelles religieuses. Au Maroc, on ne peut être que musulman ou juif de naissance.
Par exemple, un musulman ne peut pas devenir juif ou chrétien. Les chrétiens convertis sont persécutés.
Ce pays exige plus de mosquées en France. Il contrôle des organisations islamiques en France, en Belgique et dans toute l’Europe. Il interdit le prosélytisme chrétien chez lui. C’est absolument aberrant. C’est un des pays soi-disant les plus modérés de l’islam qui revendique des mosquées en Europe et interdit la construction d’églises au Maroc. Au Maroc, on peut être chrétien si on est étranger. Un Marocain n’a pas le droit de choisir le christianisme. De nombreux pasteurs sont en prison ou expulsés, dès lors qu’ils convertissent un Marocain. Il faut savoir que l’article 202 de la Constitution du Code pénal marocain punit le blasphème d’une peine de prison.

La France est assez seule dans ce combat. On attendait beaucoup du couple franco-allemand. On attendait aussi une réaction de nos partenaires européens.

Je pense que la France n’est pas si seule que ça. Les Européens ont quand même soutenu la position de la France. De nombreux pays arabes sont choqués par cette manifestation d’obscurantisme. Globalement, les musulmans arabes n’aiment pas le blasphème. Ils ne le partagent pas et ont le droit de ne pas aimer le blasphème. Moi, en tant que catholique, je n’aime pas cela.
Comme beaucoup de catholiques qui n’aiment pas le blasphème, beaucoup de musulmans aimeraient qu’il n’y ait pas de caricatures qui souillent les prophètes. Pour autant, ils ne veulent pas diaboliser la France et savent que c’est une question de valeur. Dans les pays musulmans cela ne se fait pas, alors qu’en France oui. Le blasphème fait de la peine a beaucoup de musulmans, mais ils acceptent qu’en France, cela fait partie des valeurs historiques depuis Les Lumières.
En France, il est de bon ton d’insulter les religions. C’est peut-être malheureux, mais c’est comme cela. Beaucoup de musulmans sont comme les catholiques français, ils n’aiment pas, mais ils ne vont pas faire de violences, ils ne vont pas brûler et pas tuer pour cela. C’est la voie médiane entre les islamistes qui voudraient que la France se mette à genoux, s’excuse et les ultras blasphémateurs soixante-huitards qui n’ont aucun respect de la religion comme Charlie Hebdo. Ils ne sont pas ultras intelligents même si je dis qu’ils sont courageux. Ce n’est pas très intelligent d’insulter toutes les religions. Entre les deux, il y a une voie médiane qui est celle du recteur de la mosquée de Paris qui a beaucoup progressé. Avant, il était contre les caricatures. Il avait même fait un procès contre Charlie Hebdo. Aujourd’hui, il soutient la liberté d’expression, même pour le blasphème.
Le blasphème est interdit aux Émirats, mais les Émirats condamnent les Frères musulmans et Erdogan. Ils ne veulent pas se mêler à la campagne de boycott.
En Égypte, il y a eu quelques manifestations. En tant que Pays, l’Égypte n’est pas solidaire de cette campagne de diabolisation.
Au niveau officiel, il n’y a que le Qatar et le Koweït qui ont totalement appuyé cette campagne de boycott. Selon certains industriels, cela reste assez superficiel. De nombreuses sociétés dans les pays arabes ou en Turquie sont des sociétés mixtes où il y a des capitaux français et arabo-turc. Ils ne peuvent pas se tirer une balle dans le pied.
La Turquie a un grave problème de chômage et de crise économique. Beaucoup de pays arabes ont des intérêts mêlés avec des industries françaises et des capitaux partagés. Ils ne pourront pas boycotter grand-chose.
Il faut limiter cela à du théâtre. Il y aura quelques yaourts et quelques fromages en moins pendant quelques semaines. Cette campagne de boycott avait déjà commencé il y a deux ans. On l’appelait la révolution arabe 2.0. Cela fait déjà pas mal de temps que les Frères musulmans cherchent des prétextes pour lancer des campagnes de boycott contre les entreprises françaises et occidentales, pour déstabiliser les pouvoirs en place qui sont liés à l’Occident. C’est ce que l’on appelait la deuxième révolution arabe par le web et par la guerre économique. Il ne faut pas se laisser impressionner. Cela reste l’opposition des Frères musulmans. Au Maroc, ce sont les Frères musulmans qui ont lancé ce mouvement de boycott. C’est un mouvement des Frères musulmans relayé par la Turquie, le Qatar et le Koweït.

 

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Alexandre Del Valle
Essayiste, géopolitologue

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