Alexandre del Valle : « Expulsion des djihadistes par la Turquie : la France est obligée de négocier avec des forces qui ne sont pas légitimes ! »

Alexandre del Valle

On apprend que la Turquie va expulser des djihadistes français qu'elle détenait jusque- là. Faut-il s'en inquiéter ? Réponse d'Alexandre del Valle au micro de Boulevard Voltaire.

Il livre son analyse de la manifestation qui s'est déroulée, hier, contre l'islamophobie dans les rues de Paris.

La Turquie va expulser des djihadistes. Des Français seront notamment remis à la France. Que cela révèle-t-il des relations franco-turques ?

Avant la crise du nord de la Syrie, le lâchage des Kurdes par les Occidentaux et l’accord avec Trump, il y avait un protocole d’accord avec la Turquie depuis des années. Beaucoup de djihadistes allaient en Turquie rejoindre l’État islamique, voire Al-Qaïda, en passant par le territoire turc. La Turquie étant officiellement un allié de l’OTAN et des Occidentaux, il y avait un accord de réexpédition, d’extradition et de renvoi des djihadistes dès qu’ils étaient identifiés. Rien n’est spécialement choquant ou nouveau là-dessus.
En revanche, la façon dont les Turcs vont utiliser les djihadistes qu’ils auraient pu récupérer des mains des Kurdes comme une sorte de monnaie d’échange est beaucoup plus problématique. C’est de notre faute, puisque nous n’avons pas voulu reconnaître l’État syrien. Nous avons voulu rompre avec l’État syrien. Nous avons été obligés de négocier avec d’autres forces que l’État légal. Le véritable État légal, dans cette région, est le régime de Damas. C’est avec lui que l’on devrait négocier le retour, la gestion, le jugement et l’extradition de terroristes éventuellement français.
À chaque fois, on veut passer par des forces qui ne sont pas des forces légitimes. On préfère déléguer notre sécurité aux séparatistes kurdes, aux Turcs et aux Irakiens alors qu’ils ont un jeu trouble avec les islamistes. Ils sont bien gentils, mais ce n’est pas à eux de juger les terroristes en Syrie.
L’Occident souhaite mélanger intérêts nationaux et moraux. Or, nous aurions intérêt à négocier avec les Syriens et à les aider à retrouver le contrôle de leur territoire. Au lieu de cela, on préfère des forces extérieures, voire ennemies, à l’État en place reconnu internationalement. Jusqu’à preuve du contraire, le régime de Damas est le seul régime légitime sur le territoire syrien. On oublie cette évidence.
Au lieu de privilégier la menace principale, l’islamisme, nous avons voulu mettre au même niveau, depuis le début du printemps arabe, le régime syrien et la menace islamiste. C’est une confusion stratégique que nous payons très cher.

La faute à notre vision des droits de l’homme ou aux intérêts géopolitiques ?

Ce n’est pas uniquement notre vision des droits de l’homme. L’Occident est pris au piège de ses droits de l’homme et de son moralisme hypocrite. L’Occident n’est plus capable de définir ses intérêts de manière cynique, stratégique et froide. Il mélange la moralisation, le néo-impérialisme sous couvert de moralisation et les intérêts. Or, défendre ses intérêts, je le dis dans tous mes livres depuis des années, ce n’est pas exporter ses valeurs ou les imposer. Ce n’est pas, non plus, étendre les droits de l’homme. C’est essayer de les défendre chez soi.
Plutôt que de défendre leurs valeurs dans leurs cités de plus en plus contrôlées par des islamistes et des forces hors de tout contrôle, l’Occident veut exporter à l’extérieur des valeurs qu’il n’est plus capable de faire respecter chez lui, dans les territoires infestés par des milieux islamistes.
L’Occident veut exporter de belles valeurs des droits de l’homme, d’égalité des hommes et des femmes, mais il laisse l’islamisme totalitaire progresser chez lui. C’est le résultat d’une politique incohérente qui mélange le moralisme, le néo-impérialisme hypocrite et une mauvaise qualification des intérêts. Les intérêts ne résident pas dans le jugement moral. Un ennemi n’est pas celui qui fait des choses répréhensibles chez lui, mais celui qui vient vous agresser chez vous, sur votre territoire. Ce fut le cas du régime syrien, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

Qu’avez-vous pensé de la manifestation contre l’islamophobie ?

La manifestation contre l’islamophobie était une véritable offensive de stratégie du test. Le test des réactions visant à voir comment nous réagissons à des mouvements qui, au lieu de se remettre en question après chaque attentat, sont au contraire de plus en plus fiers d’être pour la charia et pour le voile. C’est une véritable provocation. Cela a marché !

Alexandre Del Valle
Alexandre Del Valle
Essayiste, géopolitologue

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